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Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, 05 mai 1773
de paris le 5e may 1773
quoyque je vous aye écrit dernierement mon cher amy
je suis obligé de répondre promptement a votre lettre du
27 avril ainsy que vous l'ordonnés.
vous allés vous retrouver dans votre délicieux manoir de
bursinel arrangé fécondé et pour ainsy dire créé de vos
mains, je vous en félicite et je m'y transporte vrayment
en ame avec vous.
par il faut que ce mot instruction populaire soit en grandes
lettres a la tète du titre de mon nouvel ouvrage; jye pense
l'avoir envoyé avec. on peut mettre dessoux, par l. d. h.
comme il est a la tète des leçons oéconomiques, mais non pas
mon nom. quand au lieu de l'impression, lausanne cela est
juste. observés mon cher amy, qu'avant de clorre l'impres=
sion, il faut attendre le dialogue dont je vous ay parlé qui
fait un morceau assés considérable et qui doit y ètre joint.
recevés de nouveau touts mes remerciments, et daignés en
faire pour moy a Mr de chabot. au reste si je suis content
de l'ouvrage du sr chapuis, besogne a laquelle je ne suis pas
difficile, et qu'il le soit du débit, je ne le laisseray pas chommer
et je luy donneray de bons morceaux.
mon cher amy, toutes les questions d'état, de loix, de police
&c ont mille faces très embarassantes pour un législateur
s'il veut les considérer par les branches. il faut donc se
<1v> se prendre a la tige, descendre au tronc et fouiller la racine.
principes géneraux. l'objet social est de faire vivre les hommes
en communautés d'intérèts. un de nos plus grands intérèts est
l'opinion; de lâ la nécessité de l'instruction générale et com=
mune. voila l'objet; voila le lien; mais comme tout a besoin d'en=
tretien ou pour si l'on veut de renouvellement dans la nature,
il faut entretenir et réparer la manoeuvre; c'est la besogne de la
police et des policiers. en cecy moyens généraux. je mandois
l'autre jour a un chef d'etat qui me consulte familièrement
tenés les hommes en présence le plus que vous pourrés; nul ne
baise en public, pas mème sa femme; peu, bien peu, respectent
autant leur propre présence que celle d'autruy. ce mobile dému=
lation qui depuis la pudeur peut s'étendre jusques a l'ambition
la plus démesurée, doit etre contenu dans ses justes bornes par le concours social, et
fixé au juste milieu, a la vertu modeste et simple. lexclusif éta=
blit le monopole de la célébrité comme tout autre; comme tout autre
il dégénère en injuste cupidité; comme tout autre il n'a de remède
que la concurrence. le soin le plus prospère des vrais hommes de=
tat est d'apeler le plus d'individus possibles a ce concours a la concurrence de la réputation
quelque accoutumé que soit mon plus ancien et mon plus cher
amy a mes excursions, il a bien de la peine apr a prévoir
par ou cecy nous ménera a des filles grosses, le voicy. ne voyés
vous pas que la calomnie, la médisance, les jugements témérai=
res, la perquisition des scandales, le faux zele, les ris malins
&c sont autant defforts de l'amour propre qui sans le scavoir
mème, tend a profiter du monopole de la réputation. la loy
doit tendre a l'objet contraire. plus il y a de gens en honneur
dans le paÿs, plus le party de l'honneteté sera fort, et plus d'autre
part on y est a l'abry de la tirannie pédantesque du faux zele
<2r> qui déshonte ceux qu'il excommunie, et hébète ceux qu'il soumet,
plus au contraire on voue d'individus au scandale, plus on en jette
dans l'impudence, recours unique de l'homme flétry, plus on grossit
la colonne des partisans du vice, voila le point. or tout homme
réfléchissant doit scavoir que quoyque la vertu soit pleine et en=
tière, l'homme vertueux n'est point cela; que chacun plus ou moins
fut brave un tel jour, et que si l'on nous avoit pris et publiés a notre
première faute, nous serions bien loin aujourd'huy de notre poste
de sindics volontaires des gens de bien. la loy donc doit par intérest le plus qu'il
est possible, tendre la main a notre foiblesse. or si nous ne sommes
braves qu'un tel jour, nous dont la valeur consiste seulement a diriger la natu
ina nature inactive vers ce qui luy répugne, qui de nous osera
reprocher a la femme qui n'est point engagée, et qui est privée de sauvegarde
d'avoir manqué du courage, tout autrement difficile, de résister a la
nature active, et irritée dans sa tension naturelle vers son premier
but. je me supose sur le tribunal, je tendrois la main avec respect
a celle qui porte mon semblable, qui vaudra mieux que moy l'enfant
d'un attrait émoussé peutètre, et qui dailleurs viendra dans un siècle
moins inhumain. jusques lâ le crime est nul sans doute, tout le monde
le sent; celuy de l'infanticide est trop réel sans doute; mais qui donc est-=
ce qui le commet? cest le plus communément la police, c'est la loy.
en général mon cher il est deux mobiles dans l'homme, la crainte
et lespérance. le premier avilit l'homme au moral et le détruit, le second
l'élève et multiplie ses forces. il semble que jusques icy touts les policiers
du monde, n'ayent d'estime que pour l'attrition: tout ce que les flétrissures
les chatiments et les suplices ont manqué, il seroit aisé de l'obtenir
par les encouragements et les récompenses; vous obtiendrés tout dis je
et surtout les bonnes moeurs. vous voyés ce que l'écriture accorde dans
le pseaume, de distinctions au mary de la femme forte. c'est lâ, cest
l'union, et la fécondité des mariages, qui résultent d'une infinité de details
du bon ordre, et qui en entrainent beaucoup d'autres, qu'il faut particu=
lièrement mais simplement honorer. c'est le but de la vie humaine
c'est son plus pénible travail; il mérite honneur, il lexige, il l'obtient
sans peine, car souvenés vous d'un axiome, une loy est juste ou
tirannique, en raison de ce qu'elle est plus consentie, ou plus désavouée
<2v> par la conscience de celuy qui la subit: il l'obtient sans peine dis je
or comme l'objet naturel de toute fille seroit de devenir mère de famille; plus
ce poste devient desirable plus il attache les filles a leur honneur, puis=
qu'indépendemment de la loy elles scavent que les hommes veulent
un coeur entier, attendu qu'il le faut tel pour un employ ou les
distractions seroient si penibles. celles que leurs arrangements font
renoncer a cette espérance, n'en viennent lâ qu'a lage ou le ferment
de la nature a moins de dangers, elles voudront participer au mème
honneur dans leur famille ou dans celles auxquelles elles se seront atta=
chées, et si dans leur chemin quelque coup d'épaule les dérange, il
faut attendre que les étoiles en tremblent pour s'en enquérir. j'étois il
y a deux ans a Mirabeau, paÿs d'inquietude et de médisance, une veuve
fit un enfant, et les curés, et la justice, et les matrônes, et tel et tel; je
leur dis net qu'a moins qu'une fille ne fit un veau je deffendois qu'on
en fit enquète aucune et je luy fis fournir soux main du bouillon: mon
opinion ne fait pas loy, mais je vous dis sur quoy je la fonde. jugés mon
cher si je suis pour vos maisons a recevoir les femmes grosses et les enfants
et surtout pour l'inviolable secret et l'honneur et respect conservé aux fem=
mes fécondes. mon amy cette épithète seule m'attendrit, mais depuis long=
temps je tiens trop uniquement a l'étude de la raison des choses, pour
craindre que le sentiment me fasse illusion.
souvenés vous surtout dans vos réflexions et conversations de ce
que je vous dis et laisse a juger, sur la gaucherie de l'austérité.
pourquoy deffendre le luxe au lieu d'accorder l'heureuse et simple
uniformité de la patrie &c &c &c.
au reste aux choses urgentes près, ne remués rien et ne contractés
que le moins possible le tatillonage l'épidémie du tatillonage
policier. la fortune, le sol, et les positions tant phisiques que politiques
ont procuré a la suisse le gouvernement le plus heureux dans le fait,
qui ait jamais été et qui puisse jamais ètre; vous m'en pouvés croire
moy qui les ay tant étudiés. tout cela ne tient quand a la facture
humaine, qu'a l'habitude et aux moeurs; car au fonds il n'est de bon
que le gouvernement paternel, et celuy de plusieurs ne scauroit gueres
se maintenir tel, si l'uniformité ny perpétue la modération. prenés y
garde. mais je ne finis point. adieu mon cher je vous embrasse
Mirabeau
le roy de suéde vient d'abolir chez luy touts
privilèges exclusifs et toutes maitrises d'arts et métiers.