Transcription

de paris le 28^e avril 1773

M^r de praroman remit chez mon cher amy votre lettre qui m'an=
nonçoit le livre de M^r de watteville, et peu après m'est arrivé celle
que vous m'avés écrit le 30 mars. j'ay tant été criblé d'affaires dans
et de travail dans ces derniers temps de nos assemblées, que j'ay touj=
ours remis a écrire toutes autres lettres que celles d'affaires qui sont
abondantes et de devoir stricte, m'en voila dehors. j'ay l

j'ay lu le livre de M^r de vatteville; il est plein d'esprit et de méthaphisi=
que. l'autheur est surement jeune encor, et de la classe expansive
sans doute par tempéremment, ainsy que moy. le temps l'expérience
et les réflexions luy aprendront, que la classe concentrée qu'il apèle, est
proprement celle des gens sages; que le sentiment est 3 caractères biffure un guide très
fautif; et qui nous mène d'ordinaire au pot au noir, que la raison est
le véritable, et qu'elle a énormément plus a faire pour arrèter les expan=
sifs, que pour exciter les concentrés. il ne goutera pas aujourd'huy cette
morale a luy gratuitement octroyée par l'apôtre des échos; mais
encore un coup j'en apèle au temps, et qu'il s'en souvienne. en attend=
ant faites luy je vous prie mes remerciments et luy dites combien j'ay
d'impatience de scavoir qu'un esprit de cette trempe a quitté lécorce
et les branches de l'arbre de vie, pour s'attacher aux racines et au
tronc.

vous serés content relativement a ce que vous me dites de la distinction du
bon grain et de l'ivroye philosophique que faisoient les éphémérides,
du dialogue qui doit etre imprimé a la suitte de l'instruction pop=
ulaire. j'y traite l'article de l'analogie de la science de l'ordre, a la
religion avec une étendue et un feu, que je leur devois, car on com=
mençoit a nous confondre, et si je fusse venu a manquer on auroit
oté a notre école touts les honnètes gens, et puis on en auroit abusé.

<1v> j'ay lu ce dialogue a notre dernière assemblée; il a eté reçu
avec un aplaudissement incroyable et a fort édifié notre jeunesse
timorée qui ne tenoit qu'a moy. bien peu en auront intérieurement été
mécontents, si ce n'est peutètre le rédacteur précédent qu'on m'a aver=
ty se contenir devant moy, mais ètre antipredicant partout ailleurs
et avec furie; cest une tète mal timbrée, qui fut autrefois pensionaire
de fernet; qui me vint, me croyant un persécuté, car vous connoissés
la sorte d'enthousiasme et d'ame timorée des tètes faussées. nous en
primes soin, comme du 1^er qui mordoit, et dailleurs quand on veut
faire révolution, il ne faut pas s'attendre a avoir dabord les gens
sages; je l'ay toujours contenu depuis; mais l'orgueil, le vague des
idées, l'opiniatreté &c ne sont pas de prise aisée; je l'ay pourtant
encor admonesté en particulier et fortement comme il sortoit de la
séance, et luy ay prédit qu'un jour il demeureroit hors de rang. ce dialo=
gue partira par la voye que vous m'avés donnée; je l'adresseray
directement a M^r de chabot avec une lettre de remerciment.

tout ce que vous me dites sur votre tournée de haras est excellent
cest ainsy que le gouvernement doit correspondre avec le peuple
toujours en père qui traite avec des enfant aportionés, qui leur
communique son expérience, et puis laisse a chacun sa jurisdiction.
adieu mon cher amy, voyés moy toujours avec des yeux de frère
et croyés que si la providence me laisse le temps de croitre, ce
frère lâ qui bien vous aime ne vous fera pas déshonneur. adieu je
vous embrasse

Mirabeau

a monsieur

Monsieur de Saconai en
son chateau de Bursinel 
Par Berne en suisse