,
Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, 02 avril [1774]
de paris le 2 avril 1773
je me souvenois si souvent du huit avril mon cher amy
que je n'ay pu aprendre qu'avec un vray chagrin le retar=
dement de douze jours, que vos affaires vous demandent. un
motif de plus se joignoit au desir naturel du prompt rapro=
chement, cest que nos assemblées du mardy finissent au 1er
may et j'aurois voulu que vous assistassiés au moins a quel=
ques unes. ce retard est donc a touts égards une véritable
contradiction pour moy, mais l'affaire qui vous retient est
trop majeure et trop privilégiée pour que je puisse consentir
a mon mécontentement.
ne faites pas plus de compliments a Me de pailly qu'a moy;
c'est bien l'ame la plus belle et la plus honnète, le meilleur coeur
et la meilleure amie qui soit jamais sortie des mains du créateur.
elle scait tout ce que vous valés, et dans le peu de temps que
vous avés passé ensemble, vous n'avés pas aperçu que vous
fussiés nouvelle connoissance. chez elle donc vous serés chez
vous tout comme icy, et vous ferés bien grand plaisir aussy a
toute ma famille.
le ballot qui m'aporte les exemplaires de l'instruction populaire
n'est point encore arrivé et je commence a craindre de n'avoir
pas le plaisir de les distribuer a mon assemblée; mais on m'en a
envoyé deux de lion pour me faire voir qu'il y en avoit de deux
<1v> éditions, l'une de 1773 et l'autre de 1774, et c'est a cette dernière
seulement qu'est annexé mon dialogue que j'avois fort a coeur
qui le fut a touts. quoyque le papier soit un peu foible et les
caractéres un peu blancs l'édition seroit jolie néanmoins, n'etoit
les énormes fautes dont elle est remplie. il est plusieurs endroits
ou l'on a confondu les demandes et réponces de maniere qu'elles
sont liées et que cela dérange tout jusques a ce qu'une pareille con=
fusion récidivée, remette les choses dans leur sens. outre cela
des changements de mots que le hazard a rendu capitaux.
éteindre la société au lieu d'étraindre distance des lieux au
lieu de liens; la chose est telle enfin qu'elle demande absolument
une autre édition, et je suis presque sûr, de n'avoir jamais le
temps de la faire. cela m'a faché mais n'empèchera pas que je
ne donne d'autre besogne a grasset, mais je tacheray qu'elle
soit mieux machée.
adieu mon cher amy encor pour douze jours, mais puisque
telle est votre bonté, ne m'en volés pas davantage. votre médecin
des montagnes nous sera d'un grand usage auprès de ma famille
dans nos desseins postérieurs, si dieu veut que je les accomplisse.
adieu je vous embrasse de tout mon coeur
Mirabeau
a monsieur
Monsieur de Saconai en
son chateau de Bursinel près
Berne
Par Pontarlier