Transcription

Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Cabris, 24 septembre 1771

de cabris le 24 7bre 1771

votre lettre du 12 mon cher saconay m'est venu chercher auprès de
grasse dans les états de ma fille cadette que je mariay il y a deux ans.
vous scavés que j'en ay marié une en limousin l'autre en provence, deux
provinces ou mes enfants doivent avoir de grands établissements.
celle cy est au bout du monde pour le reste de la france, mais le séjour
du monde le plus romanesque et un des plus délicieux a bien des égards
elle est dailleurs la reine du paÿs, je devois voir, et j'ay vu qu'elle etoit
grandement et noblement établie, je pars et je vais commencer ma
retraite par hyères ou j'avois acheté une maison délicieuse pour mon
frère, par marseille, par aix ou je me trouveray a mon grand regret
au moment de ma catastrophe et puis je me mets tout de bon en
route de la maniere je crois dont je vous l'ay dit.

je dis je crois car je n'ay encor rien de plus sûr que ce que je vous ay man=
dé car qui a compagnon a maitre. vous devés en effet avoir reçu
ma réponce vous et Mr de gorani, peu après m'avoir écrit cette let=
tre cy. je luy conseillay de vous voir parcequ'il m'écrivit une tres bonne
lettre et d'un véritable et prétieux converty, or je scay par expérience
moy qui fus seul, que le proverbe malheur a l'homme seul est vrai=
ment fait pour un oéconomiste isolé; le cte de pontecoulant aujourd=
huy
major des gardes du roy et excellent oéconomiste, me disoit, jay
eté 4 ans que je ne pouvois plus parler qu'a mon barbet, jusques
a ce que j'eus converti mon frère
. Dailleurs on s'entraide, on se concerte;
ce fut le sentiment de ce besoin qui me fit il y a 5 ans instituer ces
mardis, devenus depuis si connus, si nombreux et si utiles. je souhaite
que ce quil dit de schmit soit vray mais quelque estime que j'aye
pour ce dernier, j'en doute.

venons a la question que vous me faites sur vos finances, elle embrasse=
roit une reponse fort étendue et ny vous ny le temps ne me demandés
cela.

1° point central de tout gouvernement salus populi.cest 2° cet objet emb=
rasse <1v> deux points, le présent et la durée, tout instituteur ou réforma=
teur detat qui travaille au 1er sans avoir en vue le second, ne fait qu'un
chateau de carte; soit montré a la plupart d'entre eux. 3° il est pourtant
des points cardinaux qui nous assujettissent et nous bornent au présent
comme il en est qui portent l'empreinte de la durée. du 1er genre sont par
exemple la constitution fortuite mais actuelle du gouvernement, ses
besoins politiques relatifs a celle des voisins: du second genre sont, les
besoins phisiques, les principes moraux.

raportons maintenant ces généralités a vos finances. votre constitution
phisique qui a beaucoup contribué a votre constitution politique et qui
vous la rend bonne pourvoit par elle mème a ce que j'apelois cy dessus
besoins politiques je m'explique. tout état bien constitué a besoin d'un revenu
public et ce revenu a 3 objets. 1° instruction et police, 2° entretien et amé=
lioration du patrimoine public, 3° deffense. de ces 3 le dernier emporte
beaucoup de fonds, tant par la folle jactance des souverains, quen vertu
des jalousies politiques, or ce 3e est purement nul pour vous, premiere
observation.

une republique, dont la forme en soy rend touts telle qu'elle puisse ètre
rend touts les sujets envieux, doit compenser ce terrible désavantage
par la sémy franchise de l'impost, 2e observation.

elle ne peut guères dailleurs avoir de grands revenus qu'elle n'en abuse
a moins qu'elle n'ait en mème temps des charges équivalantes comme les
dignes de hollande &c 3e observation.

venons maintenant au détail de vos revenus selon leur nature. 1° tout
ce qui est domaine est fort bon pour vous autres s'il est bien administré;
autant de plumes a ronger pour la vermine aristocratique. 2° survendre
le sel, impost indirect, éphraim magistrat, un sol de plus dans le besoin
paroitra si commode et puis le peuple y est accoutumé. en un mot cela
ne peut rien valoir a quelque sausse qu'on le mette. pour 3° tribut
des nations étrangères, ainsy apelay je votre argent placé, cest assés la
maniere des viellards de faire une bonne maison, mais cest qu'ils nespè=
rent
pas voir les fruits de toute autre entreprise, cest aussy qu'on opère
en secret, triste joujou d'un age qui n'a plus que cette jouissance; mais ou
le successeur dissipe ou le débiteur fait le plongeon: tout cela sont affaires
domestiques et nous parlons affaires d'etat. 4° quand aux 64 bénefices
c'est ce qui vous soutient, mais il faudroit que le bailly sortant fut déclaré
digne par l'assemblée des prud'hommes un de chaque paroisse de son bailliage
autrement plus d'avancement. tout le reste de votre deduction sont les
charges, toutes belles hors les charités auxquelles je donnerois forme de travaux
<2r> public. mais a ce propos vous me dites que l'etat fait les 32 des nouvel=
les routes, les 3 autres se font donc par impositions 1 mot dommage je n'ima=
gine pas les corvées, et les anciennes routes quest-ce qui les entretient?
traites foraires péages vous scavés ce que tout cela vaut, ou donc est
le bonnet de la liberté, sur l'oreille? quand au 5 pour 100 sur les hérita=
ges des serfs, vous ne me dites pas si c'est une fois payé.

quand a ce qui est de conserver aux peuples leurs coutumes et usages, cela
est de droit, de devoir et de sagesse jusques a ce quils vous en demandent
dautres et ils n'en viendront lâ que quand vous les aurés généralement
persuader du mieux, s'il en est, par l'instruction. eux seuls en peuvent ètre
les véritables juges et toute théorie est fautive en ce genre si lexpérience et
la pratique ne l'apellent de concert. ce principe est fondamental mon
cher amy, car si lon surtout ne nous dévétissons jamais d'une 1 mot dommage
atteinte de la moindre tâche de tirannie et il en est a empécher 1 mot dommage
russe d'etre battue, comme il y a de en a dans la sotte enfance d'empècher celle 1 mot dommage=
sanne de porter du velours.

adieu mon cher amy je vous embrasse et je vous laisse, car je 1 mot dommage
demain mes enfants et ne cesseray plus d'aller, et de perdre temps 1-2 mots dommage
chose ennuyeuse a mon age

Mirabeau

mes tendres respects chez vous.


Enveloppe

Monsieur
Monsieur de saconay au chateau
de bursinel
a genève


Etendue
intégrale
Citer comme
Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Cabris, 24 septembre 1771, Collection privée. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: https://lumieres.unil.ch/fiches/trans/312/, version du 26.03.2018.
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