,
Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, 06 juin 1771
de paris le 6e juin 1771
je n'ay pas répondu mon cher amy a votre lettre du 22e
may, aussi tost que je l'ay reçue, quoyque j'en aye été sensi=
blement touché; mais il m'est arrivé avant de la recevoir,
un incident qui en a été cause. je reçus une lettre du margrave
de dourlac, dattée du 13 qui me marquoit que dans 4 semai=
nes, il viendroit a paris incognito avec ses enfants et il ajou=
toit a cela que c'etoit pour me consulter &c. je luy répondis
sur le champ pour luy marquer mon regret, mais j'ajoutay
que je devois etre en provence sans fautte a la fin de juin;
qu'ayant donné ma parole a cet égard pour bien des affaires
et a bien des amis, il m'etoit impossible de partir plus tard
que le 15 au matin; que je scavois que le temps des souverains
n'etoit pas disponible; que néanmoins ses 4 semaines l'amenoient
au 10 auquel cas j'attendrois jusques au 15, que si c'etoit en
vain, je le supplierois de me le faire scavoir parceque je par=
tirois plutost. comme il y avoit du temps que ma lettre etoit
partie, quand je reçus la votre, j'ay retardé pour pouvoir me
fixer sur sa réponce; mais elle n'arrive pas, et il est plus que temps
que je remercie mon cher saconay.
je suis néanmoins faché que vous fassiés tant de chemin et
quatre journées a cheval. je ne scay d'après quoy j'avois de
tout temps mis dans ma tète qu'il ny avoit que 27 lieues de
genève a lion et je croyois cela plus court a cheval. enfin si je
ne pensois que vous ferés d'une pierre deux coups, par une visite
a Mr votre cousin, je m'oposerois a cette course. a vous dire
vray mon cher amy, j'avois un peu espéré, et Me de pailly, m'avoit
confirmé dans cette idée, qu'etant libre je pourrois vous embaler
<1v> dans mon bateau, avec promesse de vous remettre sans frais
ny travail ou je vous aurois pris. dans 24 heures nous som=
mes a avignon, puis la fontaine de vaucluse et Mirabeau ou
nous trouverons très bonne maison que le bailly nous tient lâ.
vous verriés de grandes terres revirées a loéconomique, des plans
futurs et arrangements pour continuer d'année en année par
dela moy. ce bailly dont je parle est la plus belle ame et fut une
des meilleures tètes quil y eut en europe, homme qui a obei et com=
mande dans les 4 parties du monde et d'excellente judiciaire. en=
suitte je dois aller au paÿs des orangers, a la pointe absolue
de la provence pour voir l'établissement de ma derniere fille qui
est encore un tout autre paÿs et puis je vous remets tout gaillard
a lion. faites cela mon cher amy, votre procès vous retrouvera en
8bre et vous n'aurés pas de regret de nous avoir donné cette satis=
faction a nous autres bonnes gens.
quoyqu'il en soit je partiray le 15 et conte arriver le 18 ou 19 au
plus tard dieu aidant
je crois vous avoir mandé que je contois faire aller mon fils en
hongrie; il y a des difficultés de la part de l'empereur pour les françois
qui me tiennent encore en lair a cet égard. mon pis aller est que
je lenverray en limousin ou jay bien de la besogne, car a cet age
on est apte a tout. les temps changent du tout au tout, a peu
près a chaque age d'homme dans nos sociétés fortuites; mais a
mesure que le fonds s'use les révolutions sont plus marquées et
plus raprochées. quand les états seront constitués selon les loix
de l'ordre naturel, les moeurs, les usages, et les vues particulieres
des hommes ne varieront qu'en raison de ce qu'il plaira a la
nature de changer l'espèce de leurs besoins, qui sont et toujours
seront la cause primitive de leurs actions naturelles.
Me de pailly n'a ny ne peut avoir dans le fait que des idées de
voyages passagers dans sa patrie. de ce caractere on trouve des
amis partout, mais on n'en change pas. soit comme amie et mème
comme conseils, ses amis auront toujours besoin d'elle et tacheront
de la retenir.
<2r> adieu mon cher amy mes Respects a Mes vos soeurs et je
vous embrasse de tout mon coeur
Mirabeau
A Monsieur
Monsieur De Saconay En son
Chateau de Bursinel
Par Berne en Suisse