Transcription

Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, 19 janvier 1771

de paris le 19 janvier 1771

votre lettre du 28 xbre mon cher amy, m'a enfin apris, que vous
ne m'aviés pas entièrement oublié. mieux vaut tard que jamais
dit le proverbe et je n'aurois mème pas fait attention a votre
silence souvent habituel, n'etoit que vous ne m'avés pas dit un
seul mot de mes pauvres leçons oéconomiques depuis plus de 7 a
8 mois que vous devés les avoir reçues. or, outre quil m'est bon et
doux d'avoir votre avis, si vous scaviés le travail quil y a a faire
un livre, en revoir tant de copies et de feuilles d'impression &c, vous
jugeriés que cela vaut un mot de remerciment, surtout celuy lâ
qui est ma plus pénible et travaillée progéniture et duquel j'ay
raturé et refait huit copies; baste vous ne m'en avés rien dit.

ouy, ma belle mère est morte ce mois de 9bre; j'avois fait un
voyage dans les terres dont elle jouissoit cette automne, et comme
elle etoit tombée en enfance, j'avois entamé l'hydre d'affaires qu'une
régie caduque et pillée, succedant a une administration vitieuse
et turbulente de 50 années, ou pour mieux dire a un desordre qui d=
ans ces provinces escarpées, datte du temps de nos troubles, avoient
comme perpétué dans ces domaines et terres vastes et spoliées.
heureusement un peu de prévention pour moy, la bonne volonté des
peuples qui naturellement, ny connoissent que leur seigneur, celle de
l'ordre bourgeois qui est tres avenant très subordonné et très actif dans
ce paÿs la, et surtout, l'aide de mon amy l'abé baudeau que j'avois
amené, et qui a plus de zèle encor pour les affaires que pour les
avis au peuple avec un talent singulier, tout cela m'a fait en peu
de temps, mettre les choses en bon train, accomoder une multitude
de procès, en un mot faire le métier d'homme. j'y ay de plus fait venir
<1v> mon fils, a qui j'avois tenu la main haute pour sa seconde éducation
relativement a une jeunesse fougueuse et indigeste. a son retour de corse
ou il avoit fait la campagne, a la tete des chasseurs de la légion de
lorraine, cest a dire des enfants perdus avec une vigueur et un courage
vantés, ensuitte passé l'hyver en habit de bandit dans les montagnes
corses, a lever touts les plans, dénombrements d'hommes et de bestiaux
terre cultes et incultes, productions actuelles, productions et commerce
possible &c aimé des corses de maniere quils luy ont livré touts leurs
mémoires et qu'il a fait leur histoire et celle de leurs troubles fort bien,
je luy permis de voir en provence mon frère qui gouta beaucoup cet
impétueux travailleur, et me resolut a l'apeler auprès de moy, au mo=
ment ou jetois en besogne. je luy ay trouvé le coeur chaud et lesprit
juste, c'en fut assés, car sa tete est un volcan didées et son corps le valet
obeissant d'un rude maitre. je l'ay laissé en revenant a son sage
beaufrère le Mis du saillant et a sa femme qui est une tres douce et
excellente femme. il s'est trouvé a la mort de sa grand mère et a de
rudes épreuves d'un autre genre qui luy ont rendu inconcevable quil
fut au monde, et a moy plus acquis encor quil ne le fut cy devant. je vien
de l'employer a un établissement singulier de cour de prudhommes
ou tribunal de confiance que j'ay imaginé pour accomoder les affai=
res de ces pauvres gens qui me les aportoient toutes; un homme élu
de chaque paroisse pour arbitre doit a chaque 1er dimanche du mois
se trouver au chateau avec un mien représentant et un notaire pour
le tout, on leur donnera a diner et ils arbitreront. le tout est détablir
ces choses neuves, il s'y est si bien pris que touts ont notables nommé, que les
gentilshommes et autres notables des paroisses ont accepté, et pour
toutes les autres affaires, ce jeune drole, montre une perspicacité
activite, et mème bonté rare. voila mon amy ce que j'ay fait et ce
que tout cela m'a procuré; entassement d'affaires et débris a relever
partout, c'est mon sort, que n'etoit ce aussy ma capacité.

je vous félicite de la vrayment bonne compagnie rassemblée a bur=
sinel
; il ny a pas que 38 ans que jy étois avec Mellee de vatteville, Melle
isabelle alors, maintenant aussy aimable et plus respectable encor. ce
pauvre et cher bursinel, non pas pauvre dans le sens facheux car je scais
que vous l'avés traité en bon maitre, mais au contraire dans le sens amical.
je passeray bien près de ses confins cette année en allant en provence, eu
égard du moins a la distance a laquelle je m'en suis tenu depuis 40 ans
car je vais par lion, et je voudrois bien embrasser mon amy, mais pour
le présent, laissons les chateaux en espagne.

<2r> nous avons eu mon cher amy et cette année et depuis cinq ans
touts les fléaux que vous pouvés avoir essuyés, vous avés ouy par=
ler de nos innondations terribles et cas fortuits de toute espèce
avec la différence que la grande misère des cultivateurs les retardant
sur touts leurs travaux ou glanages, les arriere automne pluvieuses
les empèchent de semer depuis 3 ans dans la plupart des provinces
un mois après qu la cloture des semailles aux lieux ou les laboureurs
ont encore des moyens. les saisons ne calculent pas avec l'homme, cest
a l'homme a s'arranger avec les saisons. cette année, la vendange a eté
nulle dans presque tout le royaume, au point qu'on a permis en
cent endroits a tout le monde de grapiller. nous avons en sus les
fléaux d'institution humaine dont vous vous sentés préservés; 1 mot dommage
sommes nous obligés de nourrir les pauvres et abandonne t-on 1 mot dommage
terres. qu3-4 caractères dommagea vous les erreurs de vos voisins vous vouent a 1 mot dommage
de disette. il en est ainsy en tout et partout, nous avons besoin de 1 mot dommage
instruire, mais encor que notre frère soit instruit; les biens et les n1 mot dommage
se touchent et se tiennent sur la terre, tout bien ne scauroit résulter
que de l'instruction, tout mal que de l'erreur fille de l'ignorance; cest d'après
cette vérité que j'ay agi et que j'agiray toute ma vie.

on imprime actuellement les 3 et 4e parties de mes oéconomiques
mandés moy a qui il faudra que je les remette pour vous. adieu
mon cher amy, vous scavés si je vous souhaite a vous et aux votres
santé et toutes les bénédictions. adieu je vous aime et embrasse de
tout mon coeur

Mirabeau


Enveloppe

A Monsieur

Monsieur De Sanconnay En
Son Château de Bursinel, Canton
de Berne a Payerne
Par Geneve


Etendue
intégrale
Citer comme
Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, 19 janvier 1771, Collection privée. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: https://lumieres.unil.ch/fiches/trans/306/, version du 26.03.2018.
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