,
Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, 17 avril 1770
de paris le 17 avril 1770
mon cher Monsieur de saconay, si ma famille dispersée, mes
gens d'affaires, mes amis et tant d'autres etoient aussy discrets
et réservés que vous, je ne serois pas en cherche d'un moulin a
lettres a leffet de le substituer a mon poignet qui ne peut
tantost plus aller, a force d'avoir été. toutefois cest par trop
aussy que vous gardés le silence, car mes pauvres oéconomiques
depuis si longtemps déposées a l'adresse que vous m'avés donnée
valoient bien peu si elles ne valoient un grand mercy, y joint un
petit mot d'avis sur votre opinion. toutefois comme il convient
a un grand père tantost bisayeul et a un autheur d'avoir de
la morgue, je ne vous en dirois rien, n'etoit que voicy encor un
petit ouvrage du mème autheur, qui veut aller passer le mème
bras du fleuve d'oubly. d'ou suit que je vous demande mon très
silentieux amy si la mème adresse est bonne ou non.
en outre je vous diray que tandis que vous m'oubliés je songe
toujours a vous et que j'ay mème été bien tenté de réaliser la cam=
pagne que vous me proposiés cette automne, attendu que je suis
obligé d'aller cette année en provence ou mon frère me demande 2 caractères biffure
ou il faut que j'aille pour le mettre en train, voyage que je ne recom=
menceray pas souvent. j'avisois donc de vous donner rendés vous
a carlesruck, de la de regagner ensemble basle, et traversant la
suisse, sortir par genève, venir a grenoble par le graysivodan
paÿs qui est a voir, et de la entrer en provence et descendre a Mira=
beau par gap. on voyage fort joliment de la sorte au coin du feu
mais au fait et au prendre, les eaux du mont d'or m'ont fait un bien
si singulier, qu'on veut que j'y retourne encore, d'ou suit que cela
<1v> m'engarie pour jusques 1 mot biffure vers la fin de juillet et que ce
sera a la fraischeur de vendôme que je gagneray mon paÿs. toute=
fois si j'avois quelque espoir de vous voir et de vous embrasser
je serois capable de prendre de clermont ma route par lion a cette
fin et mème d'aller plus loin si j'esperois de vous pouvoir emmener
avec moy. que diable mon amy vous venés dexercer gravité pendant
six bonnes années et il vous pourroit ètre permis d'etre pour quelque
temps aprésent aussy sot que moy. voyés mon cher si ces proposi=
tions vous font venir quelque bonne pensée, auquel cas je vous pardon=
nerois vos dédains passés, sinon c'est rancune tenant que je vous em=
brasse vous et baise les mains aux votres, adieu mon très cher amy
Mirabeau
je commence a me voir très vieux et par conséquent a avoir beaucoup
plus de presse de bien faire et beaucoup moins de vergogne. j'ay racro=
ché un jeune Mr de bonstetten, chez la duchesse d'anville, qui m'a paru
avoir de votre air quand vous étiés jeune attendu qu'il est fort joly et
que vous étiés lait; mais il a l'air vif et poly et avenant; cela revient
de voyager et a la tète farcie d'admirations a baton rompu; mais
cela est plein de volonté et desprit et voila que je m'en suis emparé
il y a diné hyer chez moy, je luy ay donné mon nouveau livre; le
grand jeune diespack votre voisin de payerne, qui mitonne un jour une
tete sage et bernoise etoit tout étoné de la faveur de ce nouveau venu
quil m'amena, mais aussy pourquoy est ce qu'un des plus jolis garçons
de cet age vous rapéle a mon instinct.
A monsieur
Monsieur de Saconai gouverneur
de Payerne en son château
de Bursinel a Berne
Par Geneve
à Bursinel