Transcription

Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, 10 janvier 1770

de paris le 10 janvier 1770

je vous remercie mon cher amy de vos souhaits de bonne année
nous nous aimions du temps ou lon se renvoyoit a l'an 40
comme au terme du docteur de la fable, et bien maintenant
que nous scavons que tout arrive je vous renvoye a l'an 800
d'ou nous prendrons un autre relais. en attendant mon cher amy
que dieu vous donne santé et durée, vous vous donnerés tout
le reste, 2 caractères dommagege est venu de recoeuillir, le déclin d'un homme de
bien est composé de jours d'automne, l'hyver est pour les méchants
et pour les fous.

vous ètes bien heureux de pouvoir mettre le pied chez vous, sans
vous y ruiner; il est vray que vous avés suivy le mème objet pied
a pied, dès votre 1er age et avec beaucoup d'intelligence pratique.
je voudrois bien m'etre trouvé a bursinel au milieu de cette bonne
et touchante compagnie, a faute de ce je vous prie de faire
recevoir a Me de watteville l'assurance de mon respect et de
mon attachement.

quand un gouvernement monté depuis longtemps a contracté
une certaine allure, il importe peu quelle est l'opinion particu=
lière de cses chefs. lisés l'histoire de la décadence de touts les
empires ne vous semble t-il pas qu'un mème moule en ait fourny
touts les administrateurs; on leur doit suposer néanmoins les
mème différences d'humeurs, de sentiments et d'idées, qu'on voit entre
touts les hommes des sociétés compliquées, mais le coche a la descente
entraine la voiture et le cocher. je vous le répète mon cher amy
<1v> porté de ma nature et comme nécessité a vouloir faire le bien
des hommes, si j'avois cru qu'on le put étant ministre je vous
assure que je l'aurois été, car on vient a bout de ce qu'on veut bien
et d'une volonté fixe et constante;. quand a 42 ans j'ay fermé
l'avenue a toute possibilité en ce genre, attendu quil est dans
l'ordre qu'on regarde un écrivain comme un homme incapable
de tout autre employ, j'avois clairement vu que ceux qui gouvernent
sont invinciblement gouvernés et alors ce n'est pas la peine si l'on
n'a des vues d'interest particulier ce qui selon moy n'est pas bien; cest
en attaquant cest en changeant a la longue l'allure des opinions
qu'on peut faire le bien ou d'un jour ou de lautre; cette manoeuvre
est longue mais elle est sure si l'on montre aux hommes des vérités; car
attaquer l'erreur pour livrer l'homme a ses propres idées, cest affaire
selon moy a un voleur public.

j'ay fait remettre a ladresse que vous m'avés donnée les 2 premiers
volumes des oéconomiques; le libraire l'imprimeur n'a encore eu que ces deux lâ
jespère que vers ce printemps on donnera les deux autres; mais avant
ce temps, vous aurés encor un autre essay de ma façon. je me hate
de terminer ma carrière, attendu que quoyque mes substituts
vaillent aprésent mieux que moy, les choses que je diray ne seront
pas les mèmes ou du moins la maniere la mème que celle des autres
or ma famille qui accroit chaque jour et qui est maintenant
dispersée et mes affaires qui deviennent plus nombreuses occupent
tout mon temps de manière qu'en cessant mème presque tout
exercice il ne m'en reste plus du tout pour le travail, car nos
affaires nos amis et mème nos contemporains vont avant l'apos=
tolat. adieu mon cher amy vous scavés combien je vous honore
et vous aime tendrement Mirabeau


Enveloppe

A monsieur
Monsieur de Saconai en son Châ
-teau de Burcinel
a Berne
Par Geneve


Etendue
intégrale
Citer comme
Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, 10 janvier 1770, Collection privée. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: http://lumieres.unil.ch/fiches/trans/303/, version du 08.01.2018.
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