Transcription

Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, 17 juin 1769

de paris le 17e juin 1769

mon cher amy je suis reconnoissant de l'amitié que vous me
témoignès et nullement surpris; le coups que j'ay reçu etoit plus
que prévu et mème en quelque sorte moralement desiré; mais
le terrible aspect que j'ay eu longtemps devant les yeux et
l'effort de ma tète versé exprès et avec irritation du coté
habituel de ses distractions studieuses ont été tels, que l'a=
plomb réel etoit intérieurement perdu. environné de toutes
sortes d'amitiés et surtout d'une amie incomparable pour
tout prévoir et prévenir je ne pouvois que me prèter aux
mouvements que je recevois dune manière si intéressante; un
jeune notable d'entre mes élèves avoit différé son voyage a spâ
ou il va touts les ans, dans l'espoir de m'entrainer: poussé
comme par une conjuration amicale j'avois donné mon con=
sentement, et l'abé nicoli envoyé de toscane m'accompagnoit
sans attendre le congé de sa cour; heureusement les médecins
les ont trouvèes trop fortes pour ma poitrine et j'ay rompu un
voyage dont le tracas et surtout la dépense en une annèe si
couteuse m'effrayoit beaucoup; mais il a fallu céder et je vais
a petites journèes au mont dor qui sont de très bonnes eaux en
auvergne, et le bignon et mes enfants de montargis se trouvent
sur le chemin, et ceux du limousin qui devoient venir cet été me
voir et assister au mariage de leur soeur, viendront m'y joindre
et je les raméneray et toutes ces choses m'ont détérminé, car
une détérmination est précisément ce qui coute dans la sorte
de dégout dont je suis atteint et qui est une sorte de mal auquel
<1v> je suis assès enclin dans la saison des longues journèes. vous pour=
riès vous souvenir de m'avoir étoné en 1740 par la solution
que vous fites dune l'exposition de mon caractère quand je vous
disois que tout ce qui amusoit les autres m'ennuyoit et qu'il me
falloit ou cabinet ou conversation; vous me répondites que j'etois
né fort ambitieux et je fus fort surpris de ce résultat de votre
philosophie dont je fis toujours grand etat; et bien mon amy
quand on vous déffend le cabinet et que l'habitude des véritès
vous rend ennuyeuse toute conversation aprétèe il est possible
que les jours soyent longs, avec ce temperemment nefaste ou que du moins la disposition de vos
hypocondres enflès ou tendus vous paroisse assès motivée.


Enveloppe

A Monsieur
Monsieur De Saconai gouverneur 
de Payerne
a Payerne en Suisse


Etendue
intégrale
Citer comme
Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, 17 juin 1769, Collection privée. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: https://lumieres.unil.ch/fiches/trans/300/, version du 31.05.2017.
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