Transcription

Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, 04 mai 1769

de paris le 4 may 1769

mille tendres remerciements mon cher amy de votre attention
et celérité a consulter pour moy. témoignès je vous prie ma
reconnoissance a Mr tissot. je ne suis pas digne de juger du
mérite de ses ouvrages, mais je scay que gatti mon docteur
cest a dire mon amy, car je n'aimay jamais de cet état, ny ne
déféray qu'a ceux qui ont eu la bonne foy de convenir avec moy
du secret de leur église et ce secret cest que la nature est tout
et la médecine rien; un médecin est un sage dont les avis peuvent
sauver la vie dans les maladies chroniques, un aveugle assassin
quand il s'ingère avec confiance entre le combat de la nature
et du mal dans les maladies aigues
. gatti donc qui par la saga=
cité, le génie et l'honnèteté est un homme excellent, qui ayant
absolument renoncé a ce qu'il apele faire le médecin a un tel
attrait pour cette science qu'il ne peut lire que de cela, qui a donc
lû et scait par coeur tout ce qui s'est écrit en médecine depuis
que le monde est monde, m'a dit il y a 4 ans qu'il donneroit touts
les autres y compris hipocrate dont il fait grand cas comme rec=
oeuil d'expériences encor infaillibles dans les climats ou ce
père des docteurs a pratiqué, pour avoir fait le livre de Mr
tissot. il me le dit si affirmativement que je me rapèle vous
l'avoir mandé alors, vous me répondites que cela avoit rendu trop
de gens médecins dans les campagnes, a quoy il me dit que le baton
qui éborgne un maladroit n'a pas tort et n'en est pas moins un
baton utile. je scavois dèja par Me de pailly qu'il que Mr tissot n'est pas pro=
phète absolu dans son paÿs, mais je l'aurois dit sans le scavoir
<1v> il en sera toujours ainsy d'un médecin honnète homme, attendu que

l'homme est de glace aux véritès
il est tout feu pour les mensonges.

mais quand a moy qui scais ce qu'il en coute pour étre un homme
de mérite en quelque art que ce puisse étre, et surtout dans la
plus profonde des études dont le terme est comme de toute étude
vraye d'en revenir a la marche simple de l'ordre naturel, je n'en
estime que plus Mr tissot et je vous prie de luy faire passer le
temoignage de ma reconnoissance qui est bien douce quand elle
accompagne ce sentiment.

quand a mon obeissance a son opinion elle est fondèe sur ce que je
crois qu'il en est des eaux comme de toutes les autres cures qui ne
sont que passagères, mais dont le bon effet commun a principalement
troix motifs. 1° le régime, 2° le voyage et changement d'air, 3°
l'incurie ou désoucy. quand au 1er point je ne puis guères ajouter
a celuy que j'observe; pour le second je ne puis chercher un meilleur
air pour moy qui suis né dans un air vif que celuy de vos mon=
tagnes. a légard du 3e j'ay trop de soins et d'affaires pour qu'elles
ne me suivent en croupe; mais la meilleure compensation que je ne
puis trouver nulle autre part cest le plaisir d'embrasser mon plus
cher amy et de revoir les beaux lieux qu'elleil habite. je vous assurerois
donc de mon voyage mon cher amy dans la circonstance de létat de
caducité absolue ou est ma vénérable mère. deux fois par jour elle
me tend la main et me reconnoit et je baise cette main et cela paroit
luy faire joye. Me de pailly dit qu'elle m'ordonneroit de partir et
cela est vray, mais elle ne le fait pas, et la providence qui nous mesure
le vent a touts me donnera de soutenir encor cet hyver si ma pauvre
mère tient jusques après la saison des eaux. cepandant comme
quelque fois je crois la perdre a touts moments, je vous prie mon
cher amy de mèclaircir sur quelques dètails du voyage. j'ay des che=
vaux; faudroit il aller avec ces chevaux, ou seulement en poste jus=
ques a pontarlier et trouveray je des chevaux dans ce paÿs pour
parcourir vos cantons et gravir vos montagnes; enfin dictès
moy mon itinéraire et surtout dites que vous reviendriès avec
moy.

si vos gazettes font mention des foibles rabachages des antagonistes
de la liberté et ne disent rien des raisons de ses partisans répandues
dans des remontrances de compagnies et par conséquent aussy aut
<2r> authentiques, cest une preuve que vous avès chex vous, des gens de
mauvaise foy et interéssès aux prohibitions qui vacquent aux
soins de l'araignèe. le seul remède que je connoisse a cela cest
la promulgation des éphémérides dans les quelles toutes les réponces
sont répétèes, en général mon cher amy, soit pour cela soit pour
autre chose je ne scaurois vous recomander comme a un homme
de bien de faire souscrire de vos confrères; car il s'en faut bien qu'il
n'en aille assès chex vous, pour un paÿs ou l'authorité municipale
est par consèquent partagèe tient lieu d'authorité souveraine et
tutelaire et qui véritablement peut par la nature de son sol
s'en passer.

a légard des difficultès qui peuvent vous demeurer sur l'article de
l'intérest de l'argent je croyois vous avoir tout dit dans ma lettre;
mais sur cela comme sur toute autre difficulté ce ne sera que
cette annèe cy et l'annèe prochaine que les instructions véritables
et aplanies paroitront ou commenceront a paroitre; mais le nombre
des prosélites s'entend chaque jour, et cela me fait vivre et me fait
demander a vivre puisque je puis encor leur étre bon. adieu mon
cher amy je vous embrasse de tout mon coeur Mirabeau


Enveloppe

A Monsieur
Monsieur De Saconai 
gouverneur de Payerne
a Payerne en Suisse


Etendue
intégrale
Citer comme
Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, 04 mai 1769, Collection privée. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: https://lumieres.unil.ch/fiches/trans/298/, version du 31.05.2017.
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