Transcription

Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, 30 septembre 1767

de paris le 30 7bre 1767

vous jugès bien longtem mon cher amy que nous nous
sommes longtemps entretenus de vous avant que j'eusse
reçu votre lettre. Me de pailly arriva le mardy de bonne
heure et a propos pour etre embrassée ou saluée par les
oéconomistes assemblès ce jour lâ chex moy. mon premier
soin fut de luy demander une lettre de vous et je l'ay attendue
depuis avec impatience. elle se loue de tout le monde mais de
vous et des votres surtout: elle met tant de sentiment dans
tout ce qu'elle fait et tant de justesse dans tout ce qu'elle pense
que je n'ay pas douté qu'elle ne reussit; je n'ay de ma vie connu
personne qui scut etre mieux partout tout ce qu'il faut étre
sans cesser d'etre elle mème, et une personne plus méchanique=
ment ennemie de tout mensonge et de toute affectation. je la
connois depuis 12 ans, terme qui par différents apperçus m'a
fait connoitre tout l'antécédent de sa carriere attendu qu'elle
n'avoit pas changé de domicile jusques lâ; je luy ay vu soutenir
et perdre mère excellente en tendresse, père qui etoit tout le con=
traire, placer très bien sa soeur, établir sa propre fortune, tou=
jours grande par sa modération et sa magnanimité et acco=
mplir la bènèdiction de sa mère dont les derniers mots furent
va mon enfant tu ne manqueras jamais de rien, soutenir
touts les malheurs, mépriser et redresser touts les pièges, belle
jadis comme un ange et plus persuasive encor, tout ce qu'elle
a elle le doit a des circonstances patentes et a des gens dont
<1v> l'amitié l'honore en quelque sorte et qui s'honorent de la sienne
vous avès vu que je ne vous en disois pas trop alors que vous
ne la connoissiès pas, croyès que je ne vous en dis pas mainte=
nant que vous la connoissès le quart de ce que j'en pourrois
dire. vous

vous ne scauriès croire avec quel plaisir j'ay parcouru
toute votre famille et touts les détails et tout vivant et
tout heureux; combien j'ay été touché d'aprendre que Mes
vos soeurs se souviennent de moy; combien j'aime ce digne
Mr de watteville qui n'a pas fait sa plus chère prétention
d'inspirer ce sentiment, mais il me semble qu'il m'élève
presque a son niveau; cest beaucoup pourtant quand on
songe qu'il a aprivoisé Melle isabelle et qu'elle est une excellente
femme, en vérité mon amy, ny votre aménité ny ma science
n'auroient fait ce miracle lâ; dieu vous préserve de luy dire
cette sottise au moins, et Melle lolotte et Me de senarcland et
Melles vos respectables soeurs. j'ay eu une joye d'enfant en
aprenant que Mr de chabot qui m'honoroit de son amitié et
de la protection de son esprit, jouissoit de toute sa gayeté et de
touts ses avantages, et Me de chabot rétablie et Me leur fille
dont Me de pailly ma dit que son coeur en l'aprochant sentoit
le mouvement d'une simpathie machinale et raisonnèe, cest
pour moy un grand éloge de cette jeune Melle henriette elle
auroit pourtant mieux fait detre aussy gaye que père et mère.
en un mot mon cher amy c'est un grand bonheur que 35 ans
ayent aussy peu changé dans vos cantons la face de mes
attachements; que ne suis je libre j'irois leur montrer le baton
flottant sur l'onde de près loin c'est quelque chose et de pres ce n'est rien
mais je les verrois touts et votre beau paÿs et mon cher saconay
a qui j'ay tant tenu, tiens et tiendray toute ma vie et mon
coeur scait bien pourquoy.

<2r> venons a la science, dès que vous tenès bien les éléments de
la philosophie rurale
, vous en scavès autant et peutètre plus
que moy. je dis plus attendu qu'ayant par zèle embrassé
bien des objets d'extension et de résultats et étant au milieu
de tout le tracas du prosélitisme, a la réserve des principes
qui ont fait ame en moy je laisse a nos éléves la science des
calculs. vous desirès qu'il y ait un cours complet de la science
cest a quoy je butte; les écoles commencent et vont s'étendre
jugès du desir a cet égard puis que la science n'admet de
sauvegarde que l'évidence et de contrepoids que l'instruction
universelle. tout viendra en son temps, mais dites donc a ces
femmes que ce n'est pas le travail qui me fatigue puisque je ne
travaillay de ma vie, je ne scay ce que c'est. en attendant et
tandis que les bons ouvrages se succèderont tels par exemple
que l'ordre escentiel et naturel des societes  qui a maintenant
bien de la vogue, et qu'il faudroit vous procurer ainsy que les autres
a mesure; en attendant dis je et sachant que leffet du meilleur
ouvrage n'est que passager, je chéris surtout nos éphémérides
destinèes a réveiller touts les mois le gout du pain. elles ont
déja fait de grands biens sans ce qu'elles feront dans la suitte;
Me de pailly a dit tout de suitte votre commission, on ne
peut vous les faire tenir franches qu'a genève, hatès vous
de me donner une adresse et tout de suitte vous les aurès.
adieu mon cher et cher amy, mille respects et remerciments
a touts les votres de leur souvenir et je vous embrasse de
tout mon coeur Mirabeau

j'ay été chargé par la paresseuse de vous dire tant et tant de
choses.


Enveloppe

A Monsieur
Monsieur de Saconai 
gouverneur de Payerne
a Payerne en Suisse


Etendue
intégrale
Citer comme
Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, 30 septembre 1767, Collection privée. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: https://lumieres.unil.ch/fiches/trans/287/, version du 30.05.2017.
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