Transcription

Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, 07 mai 1767

de paris le 7e may 1767

j'ay reçu mon cher amy votre lettre du 1er may et une
affaire dont je vous parleray au bas de celle cy m'oblige a
vous importuner d'une prompte réponce.

l'ouvrage dont je vous parlois est tout nouveau, ce sont les
éléments de la philosophie rurale
. ce premier ouvrage qui
renferme tout et qui sera toujours le grand répertoire de
la science oéconomique est tellement chargé de fautes d'autheur
d'éditeur et d'imprimeur furtif, que les vrais adeptes ne cessoient
d'en demander un précis plus serré et qui renfermat seule=
ment les principes; deux maladies qui arréterent l'annèe
passée mon exercice continuel, me donnèrent le temps de le
faire, et la providence m'ayant rendu depuis le pouvoir déc=
rire
, j'y ajoutay pour mon coup dessay un discours prélimi=
naire a la tète; le tout ensemble fait un gros in 12, mais sitost
que vous recevès les éphémérides, vous ly verrès annoncé avec
les lieux ou il se trouve dans le volume d'avril. j'avois donné
mon manuscrit a un libraire de lille en reconnoissance de ce
qu'il m'a sacrifié une rapsodie intitulée l'esprit de l'amy des
hommes
qu'on vouloit luy faire imprimer; comme il étoit loin
il a fait beaucoup de fautes, et ennuyé des lanternages de la
police de paris il s'est passé de permission tacite bien certain
de débiter son édition dans les provinces et les paÿs étrangers.
au moyen de quoy nous n'en avons a paris qu'a lèche doit  et
par quelque occasion, mais j'écriray a versailles pour qu'on
en remette un au sr bournonville pour le cher de tolès. j'ay eu
<1v> l'honneur de voir Mr de chandieu chex Me d'amville, il m'aborda
en votre nom et me fit un vray plaisir, il me promit de me venir
voir, mais je ne pris point son adresse c'est ma faute.

a l'égard des éphémérides, non seulement votre société a laquelle
par parenthèse je devrois mon nouvel ouvrage si j'en faisois les
honneurs, fait bien de les recevoir; mais encor il faudroit que
les particuliers qui voudroient devenir vrayment hommes detat
et de près a près tout le monde doit l'etre, il faudroit dis je que
les particuliers le reçussent; qu'est ce qu'un exemplaire pour tout
un paÿs; cet ouvrage fait de bonne main, est aidé dailleurs par
d'autres qui ont de la réputation et c'est l'organe de la science
par excellence, qui va faire tomber les troix quarts des bibliotèques.
elles les éphémerides vont dans toute l'europe et depuis la russie jusques au
sénateur paoli.

la compatriote dont je vous ay parlé est Me de pailly femme de
Mr de martines de pailly colonel; vous nous l'envoyates il y a
23 ans, belle sage simple, et nous vous la renvoyons telle, sauf
les nuances de l'age et de l'expérience. quand je dis que nous vous la
renvoyons, ses amis qui ont mérité d'elle, et Me sa soeur établie icy ne
vous la rendroient pas et ses affaires mème la rapelleroient, mais
elle part avec un de ses cousins au commencement de juillet pour
aller revoir sa patrie dont l'incrustation et le gout luy sont demeurès
par la forme et par le fonds; Mr de pailly doit l'aller prendre a besa=
nçon et je seray en bonnes mains quand elle pourra causer avec
mon cher saconay; lun a fréquenté ma tète et mon coeur pendant
les dix vertes annèes de ma jeunesse et l'autre pendant les douze de
mon age mur. sans doute c'eut été une belle occasion de vous aller
voir, mais ne vous en déplaise j'ay encor la dent et le cheveu et con=
séquemment c'est me manquer de respect que de me proposer de
voyager a la suitte d'une belle dame.

maintenant voicy mon affaire car c'est la le fait. mon gendre
que j'aime plus que mon oeil plaide contre le roy pour un
petit procès gagné en 1272 pour la 1ere fois et toujours con=
firmé depuis; il s'agit d'un droit de jouissance d'une partie des re=
venus de l'évéché de limoge pendant la vacance. ce procès qui n'etoi
qu'episcopal autrefois est devenu royal depuis la décision de la
régale universelle soux louis 14; le droit de Mrs du saillant a 1 mot biffure
<2r> néanmoins été confirmé depuis, mais en 1734 le doux cal fit
lors d'une vacance deffendre au parlement de juger; il y a eu
3 vacances depuis, et aujourd'huy que mon gendre relève cette
affaire, son attaque se dirige contre l'évéque actuel, contre l'ancien
évéque de limoges précépteur des enfants de france et contre son
prédécesseur nommé de lisle duga. quand Mon gendre attaqua,
Melle de lisle du ga vivoit encor, elle est morte voila un délay. au
terme on a attaqué les héritiers d'icelle et après longs délais on a décl=
aré qu'il y en avoit de partprenants en suisse, et le paÿs etranger don=
nant 4 mois de délay cela fit partir encor mon gendre cet hyver.
comme il est leste et que j'ay assès d'autres affaires je ne m'en meslois
pas; mais par luy sollicité ayant envoyé chex son peur cet animal
m'a fait dire qu'il luy etoit impossible de découvrir l'adresse de ses
parties; j'ay demandé les noms et les voicy. Mr isaac de chandieu
sgr de villars.
2° M. benjamin de chandieu 3° Mr paul de chandieu
et Me antoinette magdelaine de chandieu son épouse
4° Melle antoinette
charlotte de chandieu et Melle louise de chandieu
. ce nom qui fait
partie du sang de mon amy m'a remis l'ame, voicy donc ce dont
il s'agit.

1° scavoir leur domicile pour l'assignation indispensable, 2° leurs
intentions. 3° leur dire les notres. au fonds ce procès n'importe
aucunement a nos parties parce que la véritable est le roy a
qui ils renvoyent le tout, cest pourquoy les 2 évéques de limoge
actuels ont donné ordre a leurs gens d'affaires d'abréger et concou=
rent avec nous par esprit de justice pour avoir un jugement. l'ob=
jet est ensuitte d'obtenir un dédomagement du roy afin que mes
enfants realisent ce droit qui depuis 500 ans a couté tant
d'arrêts; ainsy donc ce que nous aurions a desirer cest que Mrs
de chandieu abrégeassent les délais et voulussent bien donner ordre
a avoir le mème procureur que le Mis de juigné leur partprenant
a l'hèrèdité de   Melle de lille duga   car vous scavès que le moins
qu'on peut mettre de procureurs dans une affaire est le mieux
ou du moins qu'ils fassent assimiler leur deffense a celle du dit Mis
de juigné. au reste tout cela est de faveur, mais ce que je vous
demande au stricte cest de vouloir bien me marquer au plutost
le domicile ou il faut assigner. adieu mon cher amy je vous embrasse
de tout mon coeur Mirabeau


Enveloppe

A Monsieur
Monsieur de Saconai 
Gouverneur et Baillif de Payerne
a Berne en Suisse
a Payerne 


Etendue
intégrale
Citer comme
Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, 07 mai 1767, Collection privée. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: https://lumieres.unil.ch/fiches/trans/281/, version du 30.05.2017.
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