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Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, 20 avril 1767
de paris le 20 avril 1767
je dinay hyer mon cher amy a coté de Mr tronchin que je vis
pour la premiere fois de ma vie et qui me parla de vous et qui
me donna de vos nouvelles; j'aime mieux en scavoir par une telle
voye que par votre diable de duc de monpezat qui n'est qu'un
fou pommé mais tellement fou qu'il l'est plus que le père éternel
des petites maisons et qui dèsqu'il peut avoir une ligne décriture
de quelqu'un la fait voyager et courir les rues pour montrer que
tels et tels sont ses très humbles serviteurs. item ce n'est pas
de quoy il est question. mandès moy par ou et comment je vous
pourray faire tenir les éléments de la philosophie rurale, cest un
précis de ce grand ouvrage qui m'a été demandé il y a du temps
et que deux incommodités l'annèe passèe qui empèchoient cet
exercice tant ordonné me donnèrent le temps de faire. je n'en fais
pas les honneurs et n'en donne a personne, mais il y en a un pour
vous. en outre si vous m'en croyès vous ferès venir les èphèmerides
du citoyen dont on donne un volume touts les mois. je vous
annonçay dans le temps que le journal d'agriculture finance &c
n'alloit plus contenir que des platitudes, celuy cy l'a remplacé
mais avec d'autant plus d'avantage, que l'autheur n'etant point
contraint 1° par des commettans comme l'autre 2° par sa forme
a admettre des mémoires pour et contre comme le journal, et a n'etre
que rédacteur, cet ouvrage cy a une toute autre force et est propre=
ment un recoeuil voué a la promulgation et dilucidation de la
<1v> science oéconomique. faites le donc prendre a commencer du
mois de janvier chex la combe libraire quay de conti et si vous
avès des amis instruits, dignes d'étre tenus sur la voye, gens de bien
en un mot, donnès leur cet avis, ils ne scauroient faire une plus
utile lecture, cest moy qui vous en réponds. au reste vous y trou=
verès des morceaux de votre amy et ce sera a vous a les reconnoitre
d'autres encore y concourent qui touts valent mieux que luy, le
nombre des souscripteurs qui est déja bien grand s'accroit touts
les jours et l'on en envoye jusques en russie. au 1 mot biffure fait mon cher
saconay nous sommes sur le déclin et je ne vois guères que l'un de
ces deux partis a prendre ou de passer le reste du temps a larmoyer
sur ses propres ruines, ce qui me paroit un sot métier, ou d'employer
ce que le providence nous laisse de forces a faire bien; or cest faire
bien, et l'unique bien, grand et durable que d'instruire ses frères tant
de gens travaillent a démolir en ces ages modernes et a délier et
l'humanité se prete a leur soin avec tant de zèle que si l'on ne
jette dans les tètes quelques véritès fondamentales, et l'age génération qui nous
succèdera finiroit je crois par l'épidèmie de l'ennuy de la vie. heu=
reusement la vérité que nous tenons et prèchons, est géomètrique
naturelle, religieuse, filiale et propre a rendre a l'homme son aptitude
au bonheur qui ne peut venir que de deux points action et soumission.
cest donc bien fait de l'étudier, de la connoitre, de la publier, voyès et
jugès.
adieu mon cher saconay jespère que vous vous entretiendrès de
moy cet été avec une de vos compatriotes que vous nous cèdates
il y a 23 ans, femme qui fait honneur a son paÿs et a son sexe
<2r> qui fut belle simple et sage et qui l'est encor: vous connoissès mon
coeur l'un et l'autre et en sa faveur votre amitié qui m'honore fait
grace a mes défauts. adieu je vous embrasse Mirabeau
a Monsieur
Monsieur de Saconai gouverneur
a Berne en Suisse