Transcription

Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, 18 février 1764

de paris le 18 février 1764

Mr le Cher de Michaeli m'a remis luy mème mon cher
saconay 1 mot biffure mais il y a fort peu de jours, votre lettre
du 28 du mois passé. j'ay reconnu votre amitié a vos allar=
mes que je suis bien faché de vous avoir donnèes, le dépérisse=
ment de ma santé ne provient que de l'affoiblissement de l'esto=
mac et cela ne tue pas, du moins de bonne heure; il est vray
que dans les accidents de détail on a de fortes bouffèes de foi=
blesse et de découragement et je n'en ay pas besoin dans la situa=
tion et la multitude de mes affaires de tout genre; mais dans
la forme que j'ay donnée a mes travaux oéconomiques en plusieurs
provinces, non seulement le sort de ma famille, mais encore la
subsistance de tant de gens dépend de ma permanence que j'y
prends garde. on m'ordonne des eaux on me prescrit le régi=
me, mais celuy de touts que l'expérience me démontre malgré
moy le plus nécéssaire cest décrire très peu de ma main. voila
mon cher amy l'état d'une santé que l'intérest tendre que vous
y prenès me fera choyer davantage.

a légard de la perte que vous avès faite n'en parlons plus;
vous avès rendu ce que vous deviès a sa mémoire et a vous
mème, renfermons nous dailleurs dans ce grand et immuable
<1v> principe, si juste, si nécéssaire, si utile, et dont lexpérience
nous démontre mème a chaque jour la vérité, de manière
que la vie de l'homme volontaire n'est qu'un tissu de mouvements
contradictoires et de jugements rétractès, a scavoir que la
grande providence scait mieux que nous ce qu'elle nous doit
et ce qu'il nous faut
. contès cher amy que j'ay plus de besoin
que vous de m'enveloper dans ce principe. des regrets opiniatres
l'offenceroient, ils détruiroient votre bonheur et vous rendroient
injuste; un homme en place, le chef unique d'une maison
distinguèe et privilégièe et qui peut seul soutenir son nom,
jeune encor, et vivant en un paÿs ou il y a encor des aziles
pour les moeurs et la simplesse, doit a la patrie, a sa famille
a soy mème, de prendre une femme. vous étes trop sage pour
vous reengager par ferveur d'amour, cela ne vous iroit plus.
or si vous attisiès des sentiments contraires a la paix de l'ame
que demande un tel choix, et a la douce tolérance a de laquelle
ses suittes vous feront un devoir, vous vous rendriès malheureux
et seriès injuste. cessès donc vos regrets, les pleurs sincères
d'un homme de bien font l'apothéose de sa femme, et il n'est
rien par dela. adieu mon ancien amy, mon frère adieu, je
vous parle selon ma conscience et vous me croirès selon votre
amitié.


Enveloppe

A Monsieur
Monsieur de Saconai
a Berne en Suisse
Payerne 


Etendue
intégrale
Citer comme
Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, 18 février 1764, Collection privée. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: https://lumieres.unil.ch/fiches/trans/272/, version du 26.05.2017.
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