Transcription

Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, 10 avril 1762

de paris le 10 avril 1762

je ne scaurois vous dire mon cher amy combien mon coeur
a été touché de l'activité et du zèle que vous avès mis a
l'affaire que je vous ay recomandèe. je ne répondis pas sur
le champ a votre première lettre parceque les circonstances
pressantes dans lesquelles je vous avois écrit s'éminçoient
chaque jour; votre seconde que je viens de recevoir les trou=
ve toutes racoisèes, et instruit en outre d'un détail qu'il est
bon et très bon de scavoir.

mon intention en vous répondant étoit de vous mettre au
fait des personnes parceque j'en avois obtenu la permission
et sur ma parole et sur votre réputation; votre seconde lettre
m'a montré que vous aviès deviné, mais elle demontre d'autre
part contre l'opinion de Mr de malvieux, qui tenoit bon mal=
gré les soupsçons de celle de ses filles qu'on apèle icy lexcellente
judiciaire
qui toujours opina qu'a travers les protestations
et visites de derlac l'homme dur et intéressé perçoit de toutes
parts en luy, elle démontre dis je qu'il n'est pas vray qu'il
soit de ses leurs amis. le fait est que le dit d'erlac se méconte et
très fort dans son nouveau royaume luy et tout les petits
hourets de sécretairerie avec lesquels sans doute il conte avoir
rivé ses mesures. cette compagnie n'est point dans l'espèce
commune, cest Mr de malvieux qui l'a levèe et qui y a mis
le patrimoine de ses enfants, par cette levèe il a encouru la
peine de ban dans sa patrie et renoncé a toutes autres espé=
rances, ses enfants n'ont rien au monde que cela, ils ont du
<1v> jugement et des amis et le cas y echéant derlac auroit certai=
nement la main forcèe. mais le père qui quand d'erlac l'est
pieusement venu voir lors de son départ étoit atteint d'une
hydropisie de poitrine, est hors d'affaire maintenant; en cet
état il est difficile de se déterminer a vendre 1000 louis ce
qui rend 6000 lb de rente quand on n'a que cela pour subsister
d'autant que le service d'un homme podagre et perclus de
goute est couteux. voila mon cher amy ou nous en sommes
a cet égard; la santé n'est pas tellement rétablie qu'on puisse
garentir de toute rechute; mais il est très bien et guéry de son
hydropisie, voila tout ce que j'ay pu tirer d'un médecin très
habile qui l'a sauvé et qui est intime amy de sa fille. celle cy
qui a dix fois plus de talent qu'il n'en faut pour faire reussir
tout ce qu'elle voudroit, a néanmoins un fonds de paresse qui
ne fait jamais vrayment place qu'a ce qui importe a autruy
et au cas qu'elle eut perdu son père ou désespèré de le sauver
elle eut malgré moy préfèré les 1000 louis au soin de solliciter
les graces &c, mais cette résurrection l'arrète. dans ces circons=
tances il est en quelque sorte heureux que la bénignité de
derlac mette un baton dans la roue sans qu'il paroisse venir
de ce coté cy, parceque sans rompre la chose vous ne la presserès
pas non plus; si la santé tournoit a mal, alors on donneroit
d'icy un coup d'éperon a derlac, sinon les choses demeureront
comme elles sont. je vous mets ainsy au fait mon très cher
d'une chose qui m'intéresse et par le fonds et par l'amitié qui
est un sentiment qui ne viellit point en moy; je la confie a la
votre espèrant que vous partagerès mes sentiments a cet égard
comme a touts autres, et vous demandant dailleurs le secret
sur tout cecy.

<2r> vous croyès dire d'or mon cher saconay quand vous parlès
de votre vocation première contrastée par votre destination
définitive, et que vous attribuès a ce déplacement l'inquiétude
et le peu du plomb de votre position actuelle; mais prenès
garde de n'avoir pris la jeunesse pour un caractère et de ne
prendre aujourd'huy l'age mûr pour un déplacement. je n'a=
naliseray point cette pensèe, touts les détails s'en présentent
d'eux mèmes ainsy que les résultats. votre famille venoit
d'acquérir un droit prétieux et que la péremption pouvoit
rendre litigieux; le droit de gouverner les hommes impose
un devoir de naissance aux lieux et dans les cas ou ils 1 mot dommage 
le sang: Mr le dauphin ne pourroit sans manquer a son
devoir dire je n'ay pas de gout pour le conseil. mais dites
vous pourquoy donc ne me pas élever pour le sénat, et ne 1 mot dommage
pas faire humer l'air et les usages dès l'enfance: pourquoy 1 mot dommage
c'est qu'on a cru prendre la meilleure route pour faire de vous
un galand homme, et qu'il suffit d'etre cela pour devenir
un homme de bien sitost qu'on se trouve en passe d'influer
sur le sort des humains. je ne demande point a ceux qui gou=
vernent mes enfants de m'aprendre leur humeur et de s'y
conformer; mais au contraire de la rompre: allès mon très
cher vous seriès peutètre moins bon citoyen et magistrat
si vous étiés plus satisfait de l'étre. mais il s'agit mainte=
nant de vous rendre heureux, prenès un bailliage, vivès
ensuitte beaucoup dans vos foyers; a légard des orages qui
assaillent la retraite et font regretter de ne s'étre pas voué
a étre marteau plutost qu'enclume, contès qu'ils ne sont que
pour les caractères craintifs et impatients; de l'assurance
et du sens froit réduisent les nuées en brouillards et la foudre
en météores. adieu mon très cher croyès vous donc que ce
soit pour vous seul qu'il y ait des pierres en tout chemin
aimès vos amis et moquès vous des autres adieu.


Enveloppe

a monsieur
Monsieur de Saconai
a Berne en Suisse 


Etendue
intégrale
Citer comme
Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, 10 avril 1762, Collection privée. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: https://lumieres.unil.ch/fiches/trans/266/, version du 26.05.2017.
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