Transcription

Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Le Bignon, 31 décembre 1760

du bignon le 31e xbre 1760

j'allois répondre a votre lettre du 5 xbre mon cher amy quand
j'en été empèché par d'autres affaires; je vois par une lettre
que reçoit de vous Me de M. que le bruit en a été jusques a vous
très promptement, puisque la datte que l'engouement public
a notèe sur plusieurs frontispices n'est que du 17 xbre a neuf
heures et demie du matin et que votre lettre est du 23. quoyq=
uil en soit il ne m'a été permis d'écrire ensuitte qu'après mon
arrivèe icy ou j'ète je ne suis que depuis 3 jours, et dans le
moment ou je prenois la plume pour vous réparer mon
retardement ayant été obligé d'employer les premiers jours
aux lettres de devoir qui ne sont pas en petit nombre Me
de M. reçoit la votre; je reconnois votre coeur a cet émoy, com=
me aussy la célérité des bonn mauvaises nouvelles. vous jugès
bien mon cher amy que les détails de certaines affaires ne peuvent
courir la poste; qu'il vous suffise de scavoir mon très cher que
ma santé n'a point soufert, ma réputation moins encore, que
je ne me crois pas plus d'ennemis attendu que c'est une sorte
de vermine qui n'a jamais pu prendre sur moy, pas plus que
les poux, et que j'ay infiniment plus d'amis indépendemment
du dégré de chaleur qu'ont montré touts ceux qui avoient quel=
que trait a moy, et il y avoit presse, ce qui dans touts les cas
est quelque chose de fort satisfaisant. le roy luy mème a ordonné
ma punition, ce qui l'a rendue très douce 1° en ce que cela décide
la résignation absolue de la part d'un honnète homme, et vous scavès
<1v> que ce sentiment est le meilleur remède a touts les maux de la vie.
2° en ce que tout ce qui èmane d'un bon prince se ressent de sa
bonté, et qu'elle a percé de toutes parts dans les détails et la
manière. j'ay lieu de croire que c'est l'avertissement seul, ou il
a trouvé mauvais qu'on montrat le vice du gouvernement de son
prédécesseur dans les principes, quoyque je crusse l'avoir fait avec
le respect dû; j'ay lieu de croire que toutes autres impressions
sont nulles; je n'ay senty aucune inquiétude sur toute autre point
et ces jours lâ ont passé comme les autres sans emoy ny haut
et bas de ma part; voila mon histoire qu'il n'est pas trop bon
de faire mais que je crois devoir a un amy de 30 ans.

vous sentès bien mon très cher qu'il ne me convient plus de faire
les honneurs de cet ouvrage, ainsy ce ne sera pas moy qui vous
le procureray. a l'égard de l'autre qui n'a essuyé aucune contradic=
tion, je n'ay point icy vos lettres pour revoir l'adresse du banquier
auquel vous me mandates de le remettre il y a six mois, ce qui
fut sur le champ exécuté mais vous l'aurès trouvé a berne
a ce que j'espère.

je vous répète que quand vous aurès tout lû il ne vous restera
plus de scrupule sur la facilité pratique de mes ouvrages qui
sont la vérité et la simplicité même; au reste je conviens avec
vous que les esprits ont a cet égard besoin d'étre prévenus; l'hom=
me n'a que deux mobiles l'un moral l'autre phisique, a scavoir
l'opinion et l'habitude, le dernier ne peut étre changé de nature
que par les forces du premier, et voila pourquoy j'ay écrit, non
seulement pour dessiller les yeux sur des principes erronès et
tirans et destructeurs de l'humanité, mais encore pour seconder
les bonnes intentions, des bons princes des bons ministres et
<2r> autres recteurs d'humains, et faire préparer les esprits de sorte
que le cabestan ne résiste et ne leur rompe pas dans les mains
quand il voudront le virer dans le sens oposé a l'habitude.

adieu mon cher amy je vous félicite sur la nouvelle et l'arrangement
que vous m'annoncès, tout ce qui est vous est moy, j'offre mes
respects a Madame, vous souhaite a touts les deux la très bonne
annèe, et vous embrasse du meilleur de mon coeur. adieu ma
femme veut que je luy laisse place pour vous remercier.

 

jay milles graces a vous rendre monsieur de votre attention
est lhonneur que vous mavez, fait est une tres grande
consollation pour moy il y a lontems que je connait votre coeur
et que je sens le prix que mon mari est un ami comme vous
je voudrois bien estre apporté de merité le memes secors et de
faire connoissances avec vous et avec votre digne moitie
j'eu la permission de voir mr de Mirabeau des le lendemain
de sa détention jay resté a vincennes tous les jours jusqua
dix heures je suis actuellement ici avec luy je luy ay
donnée toutes les preuves de ma tendresse il men coute bien peu
pour remplir les devoir que mon coeur me dicte jay une
femme charmante avec moy de votre pais qui est mde de
Pailly que nous gardons le plus que nous pouvons elle a 1 mot écriture
les agrement de lesprit joint a la bonté du coeur nous
avons le plaisir de nous entretenir de vous souvent et toujours
avec un nouveau plaisir, je nay en ma faveur que votre
amitié pour mon mari je partage tous ces sentiment
pour vous je vous supplie den estre persuadée et que
personne na lhonneur destre plus que moy monsieur votre
tres humbles et tres obbeissante servante
permettez que mde de saconnai recoive
lassurance de mon attachement
Vassan de Mirabeau 


Enveloppe

a monsieur
Monsieur de Saconay en son 
chateau de Bursinel
Berne
a Bursinel par Geneve 
en Suisse 


Etendue
intégrale
Citer comme
Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Le Bignon, 31 décembre 1760, Collection privée. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: https://lumieres.unil.ch/fiches/trans/259/, version du 26.05.2017.
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