Transcription

Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, 15 octobre 1760

a Paris le 15. 8bre 1760

Votre lettre du 25 du mois passé, mon cher Saconay, m'a trouvé
malade et c'est ce qui a retardé ma réponse. je suis
maintenant rétabli, à cela près que l'on veut que je dicte
et je reçois celle du 30. Quant à cette derniere elle est
uniquement pour l'objet de la commission que je vous avois
donnée, et vous trouverés au dos de cette lettre la réponse
que l'on a transcrite en colonne par mégarde. je suis en
outre chargé de vous demander un grand secret, et je scais
combien, vous en êtes capable. Dans l'intervalle de tems qui
s'est écoulé depuis on a reçu des propositions d'ailleurs
qu'on n'a point acceptées, mais on seroit sans doute faché
d'un conflit notoire de juridiction.

Venons a votre 1ere lettre. il me tarde, je vous assure,
que vous ayés en votre pouvoir mon dernier ouvrage et que
vous vous soïés donné la peine de le lire et combiner
car vous avés un trop bon esprit pour penser qu'en une
seule lecture on puisse enlever tous les principes, et combiner
toutes les conséquences d'un ouvrage longtemps réfléchi et
qui est le fruit d'une étude longue, profonde et suivie.
Vous verrès alors que le fond de mes principes oeconomiques
va à toute sorte d'états et peut être mis en usage en toute
position sans que les voisins en tirent avantage au détriment du
pays. Que veut dire, par exemple, l'idée de prohiber l'entrée
d'une denrée dont on regorge
? c'est prohiber à l'eau de
<1v> remonter vers la source. je ne scais plus dans quelle langue je
dois répéter que les denrèes sont comme elle et cherchent
toujours leur niveau. Et puis encore, je veux eviter que le signe
de réprésentation ne sorte par un canal avec plus d'abondance
qu'il n'entre
. vous pourriés, mon très cher vous rapeller tout
ce que je vous ai demandé sur cette platitude oeconomique qui
consiste à spéculer sur l'entrée et la sortie de l'argent d'un pays
Le bon sens seul démontre que c'est une imbécille misere dont
il a fallu que lesprit de recherche e1-2 caractères écrituretée sur la plus plate
incapacité et ignorance, a fait adoption, en vertu de l'axiome
admirable de celui qui disoit, cet homme dit d'admirables
choses, car je n'entens pas un mot de ce qu'il dit
.

si vos laboureurs deviennent horlogers, c'est que le métier
d'horloger vaut mieux chez vous que celui de laboureur,
et cela vient précisement de ce que le gouvernemt veut fourer
sonnés dans le détail du débit de ce que produit le laboureur
et ne se mêle pas de l'horlogerie. mais la consommation de
l'horloger fait vivre le laboureur, et vous aurés de ces derniers
autant qu'il vous en faudra quand vous voudrés payer
fortement leurs peines et leurs salaires. Pour les pouvoir
payer il faut que la denrèe vaille son prix, et vous en donne
le moyen, et pour que la denrée en soit à ce point il ne faut pas
la contenir dans vos limites pour qu'elle demeure à bas prix
pour la consommation de votre cercle de misere. En un mot
lisès, mon cher ami, et relisés mon dernier essai, vous y
trouverés la semence de tout et votre bon esprit la murira
et en fera la récolte.

quant à moi ma santé demande que je relache d'un
travail que ma vivacité et la multitude d'affaires que ma
position et mon sejour m'attribuent, ont rendu peutètre trop fort
<2r> j'ai actuellement sous la presse un ouvrage purement domestique, mais où tous les
principes economiques seront rappellés et discutés. C'est un dernier service que je devois
à ma patrie et qui en a plus besoin que jamais, ce sera ma fin vis à vis du public,
du moins d'ici à longtems et si les circonstances m'avoient donné le tems de le travailler
autant qu'il merite de l'être, j'en aurois fait la base absolue de ma réputation.
on m'a haté à cet égard et le sacrifice de mon amour propre me coute en cela
d'autant moins que tout le fonds instructif et nécessaire y est d'ailleurs. à cela prés
je m'en tiendrai desormais aux correspondances des catecumenes et des convertis qui
m'assaillent de toutes parts, quoi que l'exemple de mon meilleur ami et d'un homme dont
la bonne judiciaire m'est connue depuis 30 ans, me demontre que les lettres ne font pas
grand chose.

je vous renouvelle mes remerciemens de votre attention pour ma commission. j'offre
mes respects à Madame et vous embrasse de tout mon coeur. Mirabeau 

Le Capitaine commandant la
Compagnie en question s'étant
trouvé rétabli d'une violente attaque
de goute qui l'avoit desirer de
se retirer du service, paroit n'avoir
plus ce même desir, il est allé
chez lui en semestre, cependant comme
il est assès agé, fort usé, et sujet à
de frequentes attaques de goute, et
hors d'état de continuer le service,
surtout si la guerre continue, il n'y
aura pas beaucoup de difficultès à le
faire consentir à sa retraite, moyen=
nant qu'on lui fasse un parti raisonable.
il y a des gens qui lui ont offert jus=
qu'a 10 mille francs argent de france,
qu'il auroit bien acceptèes si le
propriétaire de cette Compagnie avoit
voulu y donner son consentement.
il ne l'a pas fait parce que les
conditions qu'on lui offroit pour lui
même ne lui ont pas convenus. ainsi
la chose en est restèe là sans autre
explication directe.

il s'agiroit donc de savoir avant
toutes choses si la personne en
question, dont on seroit bien aise
de savoir le nom, est dans le
dessein d'acheter, ou simplement
d'avoir un commandement. Dans
ce 1er cas, qui seroit peutêtre le plus
convenable pour l'une et l'autre
partie, le propriétaire ne s'ecarteroit
gueres pour ce qui le regarde du
prix de 50000 lb argent de france
<2v> pour sa Compagnie entiere. Dans le
second cas le propriétaire desireroit
que son Capitaine commandant voulut
se charger de tous les bénéfices et
charges de la Compagnie, et en remise
net aud. propriétaire 4800 lb par an
avec toutes les suretés réquises, et enfin
comme cette proposition n'est qu'une
ébauche, qu'il faut en garder un
secret impénétrable, l'on pourroit
s'arranger à la satisfaction réciproque
dès le moment que la personne en
question aura la bonté de s'expliquer
sur les offres qu'elle a intention de
faire sur ce que dessus. 

Etendue
intégrale
Citer comme
Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, 15 octobre 1760, Collection privée. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: https://lumieres.unil.ch/fiches/trans/257/, version du 26.05.2017.
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