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Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, 20 juin 1759
de paris le 20 juin 1759
je réponds sur le champ mon cher saconay a votre lettre
du 14, parce qu'il y avoit longtemps que je n'en avois reçu
et que vous me témoignès que mes lettres vous font plaisir.
vous venès de faire et voir faire de la bonne besogne,
démasquer un fripon; souvenès vous de ce que je vous ay
dit souvent, ils ont touts la queue d'étoupe et craignent
toujours d'y voir mettre le feu; ils ne sont fiers que le cul
dans la haye, rompès les chiens et venès sur eux vous serès
tout étonné de les trouver si foibles sur la deffensive eux
qui étoient si hardis a surprendre la proye.
les gens qui ont trainé en longueur l'affaire de votre
sicophante ne sont pas si maladroits; ils ont trainé le
temps jusques a l'heure du repaitre, ruse usitèe a la guer=
re avec les houzards et dans les émeutes avec le peuple.
vous voila touts séparès pour aller a vos campagnes
si vous eussiès eu du temps devant vous peutètre eussiès
vous poussé votre pointe plus loin. gardès les signaux
de ralliement, rejoignès vous en hyver, et prenès l'èten=
dard de l'anty oligarchie. vous étes le fils d'un héros
mon cher amy, ce n'est pas a leur sang de se lasser; le
champ qui vous est ouvert est une carrière de paix et de
patriotisme, mais toute propre a vous rendre a votre patrie
les services les plus escentiels. contès que ces honnètes gens
<1v> si éclairès qui tiennent pour les principes oligarchiques
ne sont éclairès que jusques a un certain point s'ils sont
honnètes gens. les nobles de venise sont les plus malheureux
des citoyens, et les précautions pour empècher la sève de l'oli=
garchie de produire son fruit qui est un tiran, les tiennent
dans une habitude de combinaisons violentes et d'actes cri=
minels, dont les conséquences effrayeroient la conscience
de vos plus intrépides cabaleurs. en un mot mon cher amy
quand il s'agissoit de vos querelles personnelles, je vous
exhortois a la paix a l'oubly au désapropriement volontaire
s'agit-il de la constitution, cest le champ de l'intrépidité et
de l'action perpétuelle.
je travaille en ce moment mème pour votre société, et je tra=
vaille avec la liberté que me donnent mon caractére et mes
vues. je ne laisseray pas de toucher quelques points politiques
qui s'y trouvent naturellement. le mal actuel de ma com=
position c'est que foncé sur les principes de ce genre les
plus combinès, je donne quelque fois comme l'abc ce que
le commun a le plus de peine a comprendre; l'amy des hommes
n'etoit qu'une esquisse de hazard, et je me suis bien foncé
depuis, mais j'espère que vos Messieurs se donneront la peine
de relire, si quelque chose leur echape. j'ay devant les yeux
les matériaux que vous m'avès fournis intelligenti pauca
dans la classe des inconvéniens, 1° force paturages, 2° magazins
publics police des grains, 3° ètendue des vignes, 4° haut et
bas dans le prix du bled, 5° peu d'engrais a portèe du labourage
6° communes. dans la classe des remédes 1° mauvaise méthode
<2r> d'ouvrir et fermer l'entrèe des grains. 2° ordonnance d'ar=
acher les vignes, pis encore. 3° deffense d'enclorre les champs
de hayes. 4° monopole des magazins.
je glane sur touts ces matériaux, car tout cela a une toute
autre face que celle qui se présente dabord; si vous avès quel=
que chose a ajouter mon très cher, vous me ferès plaisir que
ce soit tout de suitte, car quand j'ay une fois entrepris un ou=
vrage, il ne faut pas que je le laisse, j'ay tant d'entraves et
d'affaires de traverse qu'il demeureroit. adieu mon cher amy
mes respects a Madame je vous embrasse de tout mon coeur
Mirabeau
a monsieur
Monsieur de Saconay
a Berne en Suisse
a Bursinel