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Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, 11 mai 1759
de paris le 11e may 1759
je réponds mon cher amy a votre lettre du 29e du mois passé. je
vois que vous avès fort bien conduit votre affaire et ce m'est une
véritable consolation. vous voyès que l'avance est grande d'ètre
sortis des brouillards qui vous cachoient le véritable moteur d'une
affaire dont le principe et la marche étoient absurdes, et dont les
conséquences étoient néanmoins si importantes pour vous. ce
cahos est débrouillé, votre véritable antagoniste est non seulement
reconnu mais encore démasqué d'autre part: détrompès vous une
fois pour toutes mon cher amy de ces beaux génies qui cachent
une ame noire, le génie d'un homme est bien manqué quand il ne
porte pas ses calculs jusques a la nécessité politique d'etre honnete.
vous n'aviès qu'a transposer l'article de votre lettre qui
concerne la gène des bleds, avant celuy qui m'explique et justifie
vos démarches pour entrer dans le 200 et qui me trace les bornes
de votre ambition; au moyen de cela j'aurois parfaitement com=
pris vos raisons et vous pouviès vous épargner ce dernier. votre
gouvernement est indigeste quand aux règles, et, sauf respect, tiran=
nique quand a la conduite. une oligarchie aussy absurde dans
sa composition que l'est celle lâ ne peut dominer sur un grand
paÿs qu'au moyen d'une grande simplicité dans l'action et de
beaucoup de modération dans les vues; au lieu de cela je vois qu'on
s'avise de tout, qu'on multiplie les réglements, que l'ignorance
ou réelle ou affectèe en est la baze et conséquemment que touts
les arrangements en sont mauvais. quand un tel gouvernement
veut étre agissant il devient tirannique; cette manière d'étre
<1v> ne scauroit durer sans ébranlement, mais dans le temps ou elle
existe, les ames les plus philosophes sont forcèes de se raprocher
de la rotation pour étre le moins incommodèes qu'il est possible
de la scieure du bois que son action intercadente corrode et
fait voler en poussière.
vous ne croyès pas mon très cher avoir donné matière a de
telles réflexions en m'envoyant purement une notte des raisons
que vous croyès pouvoir nuire a la culture des bleds; elles sont
je vous assure toutes très escentielles, biens vues et bien senties;
je vois que votre régime a cet ègard est encore plus vitieux
quand aux règles que le notre qui nous a réduits si bas par
proportion; or tout ce qui attaque l'agriculture attaque le coeur
et l'ame des états et de l'humanité. je me réserve a vous faire
voir dans le petit ouvrage que je projette de faire pour la
société de berne la suitte et la marche des inconvénients qui
résultent de cette petil pestilentielle méthode, et je ne vous en
diray rien de plus icy.
a l'égard de ce que vous me dites sur votre militaire, je dois
vous en croire puisque vous ètes sur les lieux et a portèe de
peser les avantages et les inconvénients, prenès seulement ce que
je vous en ay dit pour une note de prévoyance. recevès mes
remerciments du bon article et très lumineux que vous me
livrès pour y prendre des matériaux. offrès mes respects a
Madame et donnès moy de vos nouvelles.
a monsieur
Monsieur de Saconai
a Berne en Suisse