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Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, 07 janvier 1758
de paris le 7e janvier 1758
va pauvre paresseux tu as trouvé grace malgré ce défaut
incurable devant le tribunal des 200, tu peux bien la trouver
encore auprès de ton amy que tu vois véritable emblème
du lazare environné de rayons de gloire au sein d'abraham,
tandis que toy mauvais riche qui étois né avec plus de talents
que luy tu demandes maintenant une goutte d'eau. la susdite
goutte va ètre remise chex le baron d'erlac et dieu te fasse paix
et misericorde.
ouy sgr amy de 27 ans ne vous déplaise, vous scavès tout ce
que j'ay fait pour vous guérir du pèché de paresse épistolaire
et vous rendre exact; depuis longtemps j'y ay renoncé et je me
contente d'avoir toujours le dernier; cest lâ ou nous en étions
et je vous jure que vos chiens d'atômes et les pestes d'obligations
que j'ay a votre famille, me tiennent (ce nonobstant) tellement
aux côtes que vous étes le seul homme de l'univers dont je me
puisse souvenir toujours également pendant son silence.
quoyque ma pauvre qualité d'anonyme qui m'a tant couté a
garder par les détails, et qui n'a duré que troix jours après la
publication, fut partie il y a longtemps, quoyque l'énorme en=
gouement de ma nation dont j'ay reçu et reçois touts les
jours les marques les plus singulières m'ait fort étoné, quoyque
<1v> je l'aye été plus encore d'avoir les mèmes succès chex les étrangers
et chex nos ennemis mème pour un ouvrage qui n'étoit fait
que pour nous, je vous avoueray que l'aprobation de votre
canton me surprend plus encore; un paÿs ou l'on ouvroit tant
les oreilles pour écouter voltaire et d'alemberg, doit me trou=
ver bien maussade, car mes idées et mon génie sont l'oposé
diamétral de celuy de ces héros la. je m'en raportois pourtant
bien a votre coeur mon cher amy pour reconnoitre le mien,
et cette intelligence réciproque est l'endroit par lequel je
m'estime davantage. ne prenès pas cecy pour un compliment
car ce n'est pas beaucoup dire, je me connois bien, et en consé=
quence je ne suis pas vain.
vous me demandès la valeur réelle de certains effets .... vos
magistrats ny entendent rien: si votre agriculture n'est pas
engraissèe de touts les fonds qui peuvent ètre apliquès a
la faire valoir, sans doute c'est un mal qu'on les porte ailleurs;
si elle l'est, qu'on ne craigne pas le luxe; bias prit un chemin
plus court pour s'en preserver, mais a peu de chose près, celuy
cy reviendra au mème; vous m'entendès et ne devès pas abuser
de cecy.
quand a ce qui me regarde mon cher amy je suis tout tel que
vous m'avès connu; le public se divertit a faire de belles nouvelles
sur mon conte, et moy qui ne manquerois pas d'honnète ambition
mais qui n'entends rien aux moyens de la faire prèvaloir, je
me raporte de tout a la providence, et luy demande uniquement
la grace d'ètre homme de bien.
<2r> adieu mon cher amy je vous souhaite toute sorte de bonheurs
a vous et a Me votre épouse et a toute votre maison, et vous
embrasse de tout mon coeur.
a Monsieur
Monsieur de Sacconay
a Berne en Suisse a Bursinel