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Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, 02 février 1757
de paris le 2e fèvrier 1757
je vous avois prévenu mon cher saconay, que touts mes
raisonements sur l'affaire pendante entre votre nation et
notre cour, se ressentiroient de l'ignorance ou vivent les
citoyens de toute affaire politique; ce n'est que par le hazard
de ma liaison d'amitié avec une dame de votre paÿs que j'en
ay mème ouy parler, et comme je ne vois jamais en vous que
l'amy, j'oubliay en vous ècrivant la disparité immense de
l'homme privé a l'homme public sur ces sortes de matiéres. je
ne pousseray pas plus loin l'illusion a cet égard, et me conten=
teray de desirer que les changements subits survenus dans
le ministère 3 mots biffure comme aussy ceux que l'on
dit l'étre dans les projets de la campagne prochaine, facilitent
une concilliation desirable des deux parts.
vous avès très bien jugé le principe de l'horrible attentat dont
nous venons d'étre les témoins. un homme extravagant par
l'esprit, infect dans l'ame et dans les sentiments, agité d'une
bile noire qui le tourmentoit mème dans le sommeil, desireux
de célébrité, poursuivy et signalé de toutes parts pour vol
domestique, et se déterminant a faire une fin horrible pour
la rendre bruyante; un tel homme dis je n'apartient a aucune
<1v> nation en particulier; mais l'inconsidération des propos, lex=
agèration des desordres publics, et lespèce d'action dans les tètes
que mettent les dissentions de détail, cantée sur la vivacité françoise
peuvent influer sur les résolutions désespérèes; cette idée devroit
déterminer tout honnète citoyen a se couper la langue plutost
que de parler inconsidèrément sur certaines matières. mais
mon cher amy des maux qui n'ont de remède que dans lespoir
que les hommes deviendront sages seroient sans remède desespèrès, si la
providence supérieure a tout et qui veille sur le sort des
états, si cette providence paternelle dis je ne scavoit tirer le
bien du mal mème quand il luy plait. la résignation est
la dernière et continuelle ressource du spèculateur; et sans
cela le plus sage n'est qu'un fol.
adieu mon cher saconay, je vous embrasse de tout mon coeur
Mirabeau
A Monsieur
Monsieur de Sacconay
a Berne en Suisse
