Transcription

Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, 25 septembre 1756

de paris le 25e 7bre 1756

il est vray mon cher amy que l'homme qui m'a mis en doeuil ne
méritoit au fonds de regrets que ceux qu'exige l'humanité, et que
quoyque j'aye a cet égard remply toutes les bienséances, c'étoit
la plus petite perte que je pusse faire relativement a moy; mais
pour me 1 mot biffure teindre en noir au dedans comme je l'étois au
dehors, la providence m'a enlevé par un coup imprèvu, dans le
mème temps ma seconde fille, enfant dans sa onzième annèe
et de la plus belle espérance tant par le corps que par l'esprit,
enfant d'un caractère tellement ferme et vraye qu'on n'avoit jamais
pu la faire mentir; un accident qu'on a qualifié de coup de sang
l'a enlevée en neuf heures de temps, accident auquel nous étions
d'autant moins préparés qu'elle n'avoit jamais été malade. un
père qui a 4 filles et qui en perd une au couvent de la sorte
ne paroit presque pas dans le cas d'un compliment, mais j'aimois
cet enfant de prédilection et j'en ay été bien affligé.

mon frère est arrivé fort défait et maigry mais en train de conva=
lescence; il a passé deux jours a versailles troix icy, et est retourné
chex moy a la campagne ou sont ma mère et mes enfants, il y
prendra du lait pendant le reste de l'automne autant que le
fontainebleau pourra le luy permettre; heureusement il est de
ceux qui observent le moins le précepte de petite et accipietis.

ainsy mon très cher la providence se joue des ressorts de la
prudence humaine. ceux qui ont fait le traité avec la cour
<1v> de vienne avoient pour objet la pacification de l'europe, et
croyoient en avoir trouvé le noeud; un grain de ferment, un
soupsçon dans la tète d'un seul homme a souflé sur leur ouvrage
et le feu menace de toutes parts. malheureuse condition de l'homme
icy bas, ne pouvant rien que par les forces reunies de la socièté
il est impossible que cette reunion subsiste sans une tête; si cette
tete est une, un coup d'hydromel peut faire extravaguer l'univers;
si elles sont plusieurs, les passions privèes décident de la marche
publique; et l'homme croit pouvoir se suffire a luy mème? cette
reflexion peut nous conduire a deux conséquences; l'une qui nous
est commune a vous et a moy comme a touts autres, qui est que
le gouvernement universel est heureusement dans des mains
paternelles qui ne manqueront jamais au juste, l'autre qui vous
est particulière a vous et a vos compatriotes, qui est que vous faites
partie de la nation privilégièe a cet ègard entre toutes celles qui
furent sont et seront.

si le petit d'alemberg a été traité dans vos cantons en conséquence
des fastueuses épithètes dont vous lhonorès, bientost vos coteaux
et montagnes seront le rendès vous de touts les foux de l'europe;
d'autant que la plus insuportable présomption est le partage
individuel de ces espèces de gens la, et les rend en général odieux
par le coeur et par lesprit. les entendre néanmoins une fois
seulement vaut comme vous dites la peine de conserver ses
oreilles; mais a la longue ils vous ennuyeroient beaucoup.

adieu mon très cher, parlès moy de tronchin qui guérit votre belle
dame; on luy avoit tourné la tète icy, il la reprendra chex vous. mille
et mille respects a Madame, Me de Mirabeau est en limousin;
adieu je vous embrasse de tout mon coeur Mirabeau


Enveloppe

A Monsieur
Monsieur de Sacconai
a Berne en Suisse à Bursinel 


Etendue
intégrale
Citer comme
Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, 25 septembre 1756, Collection privée. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: https://lumieres.unil.ch/fiches/trans/225/, version du 18.05.2017.
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