Transcription

de paris le 3^e juin 1756

je vous dois une réponce depuis un temps immense mon cher
saconay, mais je me croyois sans cesse a la veille du jugement
de mon procès et je voulois vous en aprendre lévénement. aux
retardements ordinaires du palais se joignent encore en ce temps
cy les affaires publiques dont les parlements sont fort compressès, som=
me toute cela a trainé beaucoup par dela le terme promis. en
outre il ètoit toujours temps de perdre, j'ay été condamné au
parlement sur la question que j'avois gagnèe au chatelet et en
totalité j'en suis pour la perte de mon bien, les frais, les dépends
et toute la sausse. c'en est assès, je ne fus jamais de la secte des
opiniatres et des contentieux, cest une leçon pour le reste de ma
vie, et je n'oublieray pas que je n'entends rien a ce métier lâ
et ny veux rien entendre.

M^r votre beau père a fort bien fait de rapeler M^r son fils;
les voyages comme on les entend sont beaucoup plus couteux qu'in=
structifs; il ne faut pas aller bien loin pour connoitre les hommes
ils sont partout les mêmes a certaines nuances près, et de ces nuan=
ces il ne nous importe absolument de connoitre que celle dont nous
sommes envelopès; suposé qu'il en faille sortir, cette première
notion est la vraye clef des autres; mais ce qui nous importe le
plus c'est de nous connoitre nous mèmes, et cette connoissance ne se
prend point en se rèpandant au dehors, au contraire.

<1v> la peinture que vous me faites de l'intérieur de votre gouvernement
remplit lidèe que j'en avois déja. souvenès vous mon très cher
que la fermentation du gouvernement fait la tranquillité et le
bonheur des peuples; ou l'un des élèments prédomine la terre est
stérile et languit.

vous n'avès pas je crois a craindre de si tost le changement que
vous craignès et le rapel de notre ambassadeur auprès du corps
helvétique; cette place tranquille et fructueuse luy a été donnèe
comme récompense de ses longs travaux et il la gardera. quand
au successeur vous aurès toujours quelqu'un de favorisé et qui
par nature ou par vetusté aura renoncé au travail trop assidu.

a légard de la distribution de vos régiments, vous regardès toujours
la chose comme corneille peignoit les hommes, a scavoir comme
ils devroient étre et non comme ils sont. le hazard seul et l'adresse
de ceux qui obtiennent ces sortes de graces en décident, et cela fait
qu'il y a 20 évèques provençaux et qu'il ny en a que troix bourguignons
je supose, quoyque la bourgogne soit deux fois grande comme
la provence; il en est de mème de vos régiments; je scay bien tout
ce qu'il y a a dire sur cette similitude, mais dans le fait la chose
est ainsy.

adieu mon très cher amy, mille respects a vos dames et contès
toujours sur ma tendre et constante amitié. 

A Monsieur
Monsieur de Sacconay
a Berne en Suisse
a Bursinel