,
Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, 20 janvier 1756
de paris le 20 janvier 1756
je reçus votre lettre du dernier du mois passé mon cher saconay
dans le temps ou je venois de vous écrire, et comme c'est celuy
ou l'on est de toute parts accablé de lettres de compliments, je
n'ay pas voulu vous adresser un duplicata. je reçois maintenant
celle du 13 ou vous avès la bonté de me remercier pour Mr
votre beaufrère tandis que je me reproche moy de ne pas luy
procurer touts les agréments que je ferois partout ailleurs.
c'est je vous assure la candeur et l'honnèteté personifièe, mais
je vous répète que dans une ville comme celle cy, le meilleur party
a prendre pour des parents qui veulent la faire connoitre a leurs
enfants est celuy qu'on a pris pour vous autrefois; tout le monde
a cet age est étranger a la société, et le gout de la liberté dont on
voit les premières lueurs compense les peines de l'introduction.
quand au contraire on a deja gouté les agrèments d'une socièté
limitée et qu'on tombe dans le tourbillon de la folie et de l'intérest
il semble qu'on arrive dans une forest dont touts les arbres
s'ébranlent et se déplacent a la fois sans qu'on ait autre chose
a faire au milieu qu'a se garentir du choc. votre amy de gentil
qui 1 mot biffure a bien de l'acquit n'a gueres vu icy que cela, quoyque
il fut dans bien des maisons, mais joueurs et joueuses et puis
c'est tout. s'il eut été seul il se fut peutètre reviré autrement
mais une jeune femme ne scauroit aller chex des philosophes.
sa femme a recomandé a Me de Mirabeau Mr de st saphorin
de votre canton, mais elle a quitté ces sociétes, et le tout s'est
<1v> borné a quelques visites chex nous. je suis intérieurement bien
mortifié de ne pouvoir rendre qu'en si chétive monnoye, toutes
les politesses que j'ay reçues dans ce paÿs la, mais encore fais je
plus que les autres. quand a Mr votre beaufrère c'est toute autre
chose pour moy, et je le regarde comme le mien. il m'a paru détér=
miné a aller passer en province une partie du temps qu'il destine
a la france; je luy ay conseillé les provinces méridionalles parce=
que de l'océan a la méditérranèe, il n'est ville un peu considérable
ou je ne puisse le recomander de façon qu'il y sera très bien reçu.
je me suis bien imaginé que Me de saconay n'etoit pas Mr son
frère attendu que quoyqu'il soit bien ce ne seroit pas une jolie
femme. il a cepandant quelque chose de très doux et de très
gratieux dans le regard que bien des femmes voudroient avoir.
en un mot je vous prie de me laisser mon idèe, qui vaut mieux
que vos traits roulants les uns dans les autres qui ne me signi=
fient que nos laidrons agaçans de paris, et point du tout une
femme dont la beauté est célébre dans un paÿs ou les jolies
personne sont très communes: assurès la de mon respect et
de mon attachement, et luy répondès que Mr son frère est soux
ma sauvegarde absolue partout en france autant qu'il y voudra
ètre.
je vous en crois des que vous me dites sérieusement que vous m'avès
répondu, je vous prie de me croire aussy quand je vous assure que
je n'ay point reçu cette lettre; cela m'etonne, attendu qu'il s'en
perd peu, et je ne vois pas ce que vous auriès pu mécrire qui eut
obligé de retenir celle la.
ma mère et ma femme vous remercient, et toute ma famille vous
sera attachèe inviolablement tout autant de temps que je
<2r> pourray dire que je vous dois la vie a vous et aux votres; or je
crois que je le laisseray par écrit. adieu mon cher saconay je
vous embrasse de tout mon coeur.
A Monsieur
Monsieur de Sacconay
A Berne en Suisse