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Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, 28 avril 1755
de paris le 28 avril 1755
quoyque vous ayant fait mon compliment le premier mon cher
amy, et vous ayant demandé le votre; j'aurois néantmoins rép=
ondu a la lettre par laquelle vous me donniès part de votre
promotion, si je n'avois attendu de pouvoir vous donner des nou=
velles de mon procès; c'est un étrange métier dans cette immanse
ville que de reunir juges, avocats, procureurs, touts gens qui son=
gent a vous au moment ou vous les tenès, et quand leurs démar=
ches doivent décider d'un objet considérable on ne scauroit trop
y veiller. mon affaire a déja eu troix audiances et ne sera finie
qu'après demain trente, mais cette longue attente qui avoit accumulé
sur mon bureau une quantité de lettres pour pouvoir aprendre
l'événement a mes amis et correspondants, m'a enfin déterminé
a préparer toujours mes lettres, sauf a les faire partir au mo=
ment ou je l'aprendray.
dans ces entrefaites mon cher amy je reçois votre lettre du 21e avril
et je vous renouvelle mes félicitations bien sincères: vous étes marqué
au coin des hommes heureux; peu de gens ont en leur vie une seule
occasion de joye vive, je n'en eus par exemple de ma vie, et si
m'estimay je fort heureux d'avoir une bonne santé et d'étre exempt
de tant de maux que je vois affliger l'humanité, et j'en remércie
bien sincérement la providence; cepandant jamais l'ambition
<1v> ne m'a soury dans les temps ou je luy faisois la cour; je ne con=
nus en ma vie l'amour que par la jalousie, ses plaisirs n'ont pas
passé ceux des sens et son assujettissement m'a été d'autant plus
a charge que je suis d'un caractère a ne jamais manquer a la
reconnoissance et a me mettre toujours a la place d'autruy. léstime
des hommes l'émissaire le plus actif de la vertu, m'a toujours regar=
dé comme l'enfan le frère ainé de l'enfant prodigue, homme dont
on étoit sûr et qui ne mérita jamais de fete. quand aux maux mon
cher amy j'ay perdu de chers enfants avec autant de sensibilité
que vous, j'ay vu un frère que j'avois gaté par trop de tendresse
flétrir son nom, et me payer de l'ingratitude la plus réflèchie et
la plus continuèe. cepandant je me trouve heureux mon très cher
et n'en croyès pas mon style, la force d'esprit est de toutes les
vertus humaines celles dont je suis le plus éloigné; mes entours
qui m'adorent ne feignent pas de me dire en cent façons que je suis
foible, et dans le fonds ils le croyent beaucoup plus que cela n'est.
je suis heureux encore un coup, mais ce qui accroit mon bonheur
cest que mon cher saconay l'est encore davantage; votre mariage
et votre promotion sont deux époques dans votre vie, telles que la
providence en destina a peu de ses enfants.
ma mère vous félicite de bien bon coeur, elle avoit conté que l'ex=
clusion, vous rejetteroit a lion dans votre ancienne famille, que la
retraite, vous feroit penser murement a certain point qu'elle
regarde comme tout; voila uniquement le sens de ce que je vous
ay dit sur cela, mais elle prend toute la part possible a votre
satisfaction, ma femme vous en dit autant, ainsy qu'a votre belle
<2r> et digne épouse que j'assure de mon respect, et a qui je baise
la main avec des larmes de joye de ce qu'elle aprouve mon
conseil. elle me prend surement sur mes lettres pour un pédant
de cathégorie, elle seroit bien étonnée, de me voir gay et gaillard
non pas tout a fait dans le genre de notre amy montpezat la
toupie, mais plus a son gré peutètre car on dit qu'elle a l'air aussy
noble que la figure belle; quoyqu'il en soit elle est fort au mien de
ce seul mot, et elle verra dans touts les temps que je suis aussy bon
serviteur de sa maison que bon amy de son mary. adieu mon très
cher; cette lettre ne partira qu'après demain, jour de la décision de mon
procès qui a déja eu troix séances.
Mon procès est perdu, mon cher ami, ce nest quen premiere
instance, mais cela ne s'appelle pas une promotion et vous
voyès que nous sommes loin deparité. j'en suis fort aise
Comme de droit, non d'avoir perdû mon procès, mais de ce
que vous avès gagné le votre et en consequence je n'en serai
pas moins gaillard. si je ne vous écris pas de ma main Cest
que j'ay eu dans cet instant beaucoup d'ecritures a faire. et
que d'abord apres diner mon estomac souffre quand je suis
courbé. adieu, mon tres cher que j'embrasse de tout mon Coeur
je joins icy un petit precis de mon affaire qui vous divertira
<2v> Précis des écritures signiffiées
Pour Le Marquis de Mirabeau
Contre le Comte de Mirau
Le Comte de Mirau profite de la circonstance de deux contracts
réprésentans une seule et meme acquisition pour retirer la
portion la moins évaluée par une ventilation a laquelle
l'acquereur ne crut avoir aucun interet, et le laisser chargé
de la partie la plus onereuse.
Le projet de lad. vente rédigé en un seul acte, projet auquel
il ne manque que la Signature subsiste encore chez Girault
l'ainé notaire rue st martin qui est pret a en affirmer
la verité.
Le Comte de Mirau éxerce les retraits comme marchandise
on le lui prouve par ses propres faits. il intente en 9bre 1752
un retrait Contre le mis de mirabeau, et peu de mois aprés
il en intente un autre contre la dame de Gensac; cette
dame cede il revenû sur le champ par une Cession de ses
droits moyennant 8000 lb de proffit.
il affirme dans ce contract de vente que son intention en
retirant n'avoit point été de vendre. d'autre part il
assure dans ses deffenses qu'il ne pouvoit suffire a deux
retraits. cette expression ne peut s'entendre des procedures,
car celles contre la dame de Gensac étoient finies par la
Cession de cette dame, c'est donc du payement dont il est
question, chose croïable. or puis qu'il vouloit garder les
terres de la mise de Gensac, il vouloit donc vendre celles
du mis de mirabeau? il le vouloit si bien qu'il l'avoit
fait, sauf la livraison, a la quelle il prie messieurs les
juges de l'aider.
Les biens tenus par engagement du Roi et dans lesquels il
a par les loix du Roiaume une faculté imprescriptible
de rentrer ne sont point sujets au retrait dans le ressort
du parlement de Toulouze. on y tient que le gage ne peut
<3r> Jamais ètre regardé Comme l'heritage de celui qui le
possede a ce titre, C'est l'heritage de celui qui l'a mis
en gage.
La comté de Gaure étoit un acquet en la personne du duc
de Rohan me de fernand nunèz sa soeur la posseda comme
bien héréditaire. Le Roi la lui reprit et la mit en vente. un
tiers en obtint l'adjudication. Le Duc de Rohan par grace
et sans tirer a conséquence fut admis a doubler le prix de
l'adjudication, remboursa ses frere et soeur de leur portion
du fief, par ce que personne de la famille n'en avoit hérité.
il étoit déja dans la main du Roi quand la dame de fernand
nunèz mourut.
Les receveurs du domaine lui demandent le Centieme
denier de cette partie de la succession, il prouve qu'il n'en
a point hérité et il est déchargé en consequence par un
arret du Conseil.
Le Cte de mirau prétend que le mis de mirabeau a acheté
Cet arret; ils ne sont pas a vendre comme les retraits.
La comté de Gaure est donc tenue pour acquet dans la
famille du duc de Rohan, reconnue pour acquet par
le Conseil, vendue comme acquet au mis de mirabeau.
Peut on aujourd hui la changer de nature?
Les acquets sont ils sujets au retrait dans le ressort du
parlement de Toulouze? en ceci la cour ne scauroit etre
que l'interprete du tribunal naturel des parties. le Comte
de mirau s'est un peu tard avisé d'etudier les questions
des acquets. son érudition a cet ègard est incertaine; il
Cite les arretistes pour arrets, et voit dans le Contract
meme sur lequel il jette son dévolu precisement le
Contraire de ce qui y est. s'il faut l'en croire, il n'y
a pas deux sortes de biens en païs de droit écrit, contracts
terres, maisons, biens dotaux qui ne peuvent étre alienés
biens hereditaires qui sont libres, tout sera de meme nature
et le retrait lignager qui, de son aveu est au moins de moindre
<3v> Condition dans ces païs là en ce qu'il y cede au retrait feodal
sur lequel il l'emporte en païs de coutume s'exerce sur
tout et sans contestation.
sans entrer dans des discussions du droit qui ont déja
trop ennuié les juges, il s'agit d'un fait. le Cte de Mirau
allegue des jurisconsultes et des probabilités. le mis de
mirabeau apporte 1° un arret qui dit en un cas pareil
que le retrayant prouvera que le bien avoit appartenu
a son pere. 2° un acte de notorieté du parquet, une
Consultation d'avocats qui affirment que telle est
désormais la jurisprudence du parlement de toulouse
sur ce point. si ces preuves parroissent insuffisantes aux
juges, ils sont les maitres d'en ordonner de plus
juridiques, mais jusques là elles ne scauroient ceder
aux raisonnemens du Comte de mirau.
Le Cte de mirau a manqué en tous points aux formes,
non seulement a celles qui sont ordonnées par la
coutume. (.ce qui suffisoit cependant, attendu qu'en ce
point le parlement de toulouze a pris desormais les
usages de celui de paris pour regle) mais aux formes
prescrittes par l'ordonnance generale et a celles qui
sont de l'essence du retrait.
il répond a cela 1° qu'on n'est assujeti a aucune forme
en païs de droit écrit. ni fond ni forme c'est le procés.
il nous apprend du moins que la consignation dans l'au
et jour est indispensable dans le ressort du parlement
de Toulouze, il y a manqué.
il soutient ensuitte que le mis de mirabeau a couvert
ces défauts par une cession volontaire d'une portion
des biens sur lesquels le retrait est intenté.
Le mis de mirabeau n'a pas compté se deffendre
par des chicannes, et en conséquence il a debuté par
céder ce qui n'etoit point acquet; mais cet acte de
bonne foi peut il couvrir les nullités de la procedure?
<4r> non, l'assujetissement aux formes est de droit public. le
deffendeur peut faire cesser la procédure entendant le
Gyron, mais son accession ne scauroit empecher qu'elle
ne soit nulle, quand une fois elle l'a été.
A Monsieur
Monsieur de Sacconnay
a Berne en Suisse