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Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, 05 avril 1755
de paris le 5e avril 1755
le double triple et centuple monpézat qui est par=
tout et en touts lieux en mème temps, laissa hyer
mon cher amy un billet a ma porte par lequel il
m'aprend que le baron de sinner a reçu la nouvelle
que vous étiès du 200; j'ene vous en félicite mon très
cher dans toute la joye de mon coeur, et ma mère
me charge aussy de vous en faire son compliment
bien sincère; je ne scay si au fonds pour le bien de
votre ame elle n'eut pas mieux aimé vous voir a lion
mais moy qui malheureusement n'ay pas encore la vue
si longue, je suis délicieusement affecté de votre joye
je vous embrasse mille fois les larmes aux yeux et je
prends notre bonheur commun en cela pour un heureux
pronostiq pour mon procès qui va se juger dans huit
ou dix jours.
a propos du baron de sinner, il m'est venu voir
mené par monpezat, je luy ay fait la face la
plus ouverte qu'il m'a été possible, je luy ay offert
ma bibliotèque et ma maison quand l'un et l'autre
luy seront agréables; j'ay depuis passé chex luy
deux fois sans le trouver; hors comme il voit
<1v> sans doute a touts moments le monpezat qui est
d'une part un prodige d'activité unique peutètre
en europe; et qui de l'autre n'a icy autre chose a
faire qu'a courir, je crains qu'il ne me trouve très
froit en comparaison; je ne le négligeray pas mais
j'ay cru vous devoir cette explication, en reconnoissance
de votre recommandation, et a cause de ce qui est dû
a Mr de sinnèr qui m'a paru au 1er coup doeil le moule
d'un homme de merite, aussy retenu que noble et
simple en son extérieur.
mille respects et compliments a votre digne épouse mon
très cher amy, je la prie de me regarder comme le plus
solide amy de sa maison, et en conséquence de recevoir
avec bonté ma félicitation; j'avois ouy dire que la
jalousie de la préférence qu'elle vous avoit donnèe
vous avoit fait beaucoup d'ennemis; aujourd'huy c'est
un double bonheur pour vous, puisque vous ne devès
qu'a votre mèrite commun, ce que vous auriès dû l'un et
l'autre a la protection en vous désassortissant; mais
il vous manque un bonheur; le vray point de la bénédiction
divine sur une union si belle, et suposé que sa stérilité
fut politique, il ce qui eut eu quelque raison puisque
vos enfants auroient en recevant l'étre nuy a leur
propre établissement, il est temps de la faire cesser.
adieu mon cher amy je vous embrasse mille fois de tout
mon coeur. Mirabeau
A Monsieur
Monsieur de Sacconay
a Berne en Suisse
repondu