Transcription

Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, 02 novembre 1754

a paris le 2e 9bre 1754

je me hate mon cher saconay de répondre a votre lettre en datte du
2e du mois passé pour vous annoncer le départ de Me de langallerie
qui dina hyer chex nous pour adieu et qui part demain avec Me
d'èrlac; peut ètre mème n'arriveray je qu'après elle attendu qu'elle
va en poste. je dois vous dire qu'au fonds elle a très bien reussy dans
ce paÿs car son caractère est aussy joly que sa figure; cela est jeune
et peut quelquefois s'ètre fait quelques hoquets sur ce que j'ignore
mais a tout prendre elle a été trouvèe très gentille. son mary demeure
je ne scay rien de l'intérieur de leurs affaires et de leurs prétentions,
et j'ay mème pris la tournure une fois de leur dire que j'en scavois
trop attendu qu'un homme sage ne doit rien laisser transpirer dans
le public de ses espérances; je ne puis en tout que me louer de l'un et
de l'autre; elle m'a demandé mes commissions pour vous mon cher amy
je l'ay prié de vous dire que quand vous viendriès dans ce paÿs cy j'aurois
une chambre pour vous.

vous avès beau dire mon cher amy, vous n'ètes ny né soux d'un climat ny d'une
ardeur de tempèremment qui authorise les inégalitès que vous attribuès
gratuitement a la nature. je scay que tout le monde a des jours
ou il est en train et d'autres ou la langueur le gagne; mais je le
répéte, le moyen de se sauver de ces jours, est de ne rien laisser entasser
et de faire ne point jamais remettre a l'instant d'après ce qu'on peut
faire en celuy cy; si ce régime scrupuleusement observé ne vous guérit
<1v> bientost de tout ce qu'il y a d'excessif dans cette intercadence, vous
ètes hors de toutes règle de la nature humaine, mais j'auray toujours
peine a le croire.

je suis fort aise que vous et Me de saconay vous ayiès été contents
de votre voyage et de vos parents; c'est lâ le berçeau de vos pères mon
cher amy, et votre véritable patrie; mais laissons cet article.

on s'est toujours trompé dans l'europe sur l'homme avec lequel vous avès
causé, en le croyant un homme supérieur et a craindre; il ne le fut jamais
que pour les petits rivaux d'ambition, car sur cet article il a tout devisé et
n'avoit pas assès de force pour voir au dela. cepandant comme vous dites
l'habitude des hommes et des affaires jointe a un esprit liant de sa nature
et limé par le frottement donne une sorte d'avantage qui se fait sentir
dans la conversation libre et 1 mot biffure couvre le tuf qui ne 2 mots biffure s'aperçoit que
quand il se présente une affaire et qu'il faut résoudre.

des l'annèe 1752 temps ou j'achetay pour près de 600000 lb de terres, et ou
je fis un voyage en gascogne ou je passay deux mois pour les visiter,
je vous manday ce revirement de parties que j'avois jugé a propos de
faire dans ma fortune; jdepuis je vous ay souvent entretenu sans
détail de toutes les affaires subséquentes a une si grande opération
et qui ne me laissent pas toucher du pied a terre; le déplacement du
bignon qui est a vendre et autres arrangements en ont été ou seront la
suitte naturelle; j'ay pour sistème de remplir de mon mieux mon feuillet
dans ma famille et de n'épargner pour cela ny mon travail ny mon oéconomie
bien éloigné de toute cupidité et de rien relacher de mes devoirs primitifs de
bienfaisance et de charité je tache de faire face a tout, mais dans un temps
comme celuy cy, ou ce qu'on peut faire de mieux et le chef doeuvre du travail
est de se soutenir vous sentès que la plupart de ces bonifications ne consistent
<2r> qu'en aparences, mais c'est beaucoup dans un grand état et chex un peuple
qui ne cave rien. au reste je ne veux tromper personnes, et mon extrème
exactitude pour les moindres engagements est la seule chose qui me soutienne
dans des opérations qui effrayeroient un favory de la fortune; si la providence
benit mon travail, les différences seront grandes, si au contraire, je me rèsigneray
persuadé qu'elle en scait plus que nous.

les d'erlac sont repartis pour londres; adieu mon cher saconay je vous embrasse
de tout mon coeur.


Enveloppe

A Monsieur
Monsieur de Sacconay au
chateau de Bursinel
a Bursinel en Suisse par Geneve 


Etendue
intégrale
Citer comme
Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, 02 novembre 1754, Collection privée. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: https://lumieres.unil.ch/fiches/trans/213/, version du 16.05.2017.
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