,
Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, 19 mars 1752
de paris ce 19e mars 1752
je suis faché mon cher saconay que Melle votre soeur regarde
comme remède pour lesquels elle a conçu un juste éloignement
le spècifique que je luy proposois; ce n'etoit pas sans ètre moralement
sûr quelle en retireroit de l'avantage, mais sa prèvention est très bien
fondèe et sa patience admirable.
je me suis sans doute trompé en donnant a vos idées de religion
des honnètes gens et de loy nature toute l'étendue que les incrèdules
y donnent aujourd'huy pour authoriser la libertè de la foy et des
oeuvres et ètablir l'indèpendance réelle; mais je crois voir par
la façon dont vous raprochès votre sistème de la loy de l'èvangile
que cette dèrnière y perd plus que l'autre, et a vous dire vray je pense
que s'il est plus doux et plus sensé de parodier l'évangile au gré
de notre amour propre que d'en secouer tout a fait le joug, cette
mèthode nest pas plus sûre d'autant qu'il est plus aisé de revenir
d'un grand ègarement desprit et de coeur qui nous a jettès dans une
route deserte et mal assurèe que de se faire justice sur des principes
raisonnès et ramenès aux principesnotions du bon sens sans que le coeur ait
paru s'en mèsler; un voyageur qui s'oriente sur de prétendues connois=
sances de l'astronomie trembleant au premier nuage est prèt a rebrousser
chemin, mais celuy qui a un guide trompeur s'égare jusques au bout
et ne voit le précipice que quand il est dedans; je sens bien que vous
me retorquerès la comparaison, et cest comme vous dites ce qui fait
qu'on ne peut raisonner de loin sur des matières dont la discussion est
infinie, et je lavoue, très supérieure a mes lumières.
<1v> j'ay cru voir dans l'ouvrage de Mr arnaud intitulé perpétuité de
la foy de léglise sur leucharistie, ouvrage d'un docteur qui ne vous
est pas suspect, la généalogie de notre foy a cet égard que vous
me dèfiès de raporter; la nouveauté et le commencement des opinions
de bèrenger et de calvin sur cet article est d'une èvidence si notoire
qu'il ne faut pas mème ètre homme de lettres, pour en connoitre les
tentatives la naissance et le progrès, et touts les hommes vèritablement
versès soit dans l'étude de l'histoire soit dans celle de la théologie
nès et èlevès dans cette croyance, ont en conséquence pris la liberté
de partir de la pour pousser le schisme plus loin trouvant bien au
dessous deux de s'en tenir aux explications de docteurs passionnès
écrivant dans un siècle grossier et marquès en tout point au coin
des novateurs; l'histoire èclèsiastique de l'abé de fleury a été je
l'avoue mon seul guide pour voir la liaison des changements arrivès
dans la dissipline, soit par la nécéssité, soit par le concours des
passions humaines, soit enfin par la tolérance des ministres de la
religion, qu'on peut accuser d'avoir relaché les anciens usages mais
très a faux de les avoir resserrès. cet historien m'a paru profond
studieux, de bonne foy, impartial, et souvent dur pour la cour de
rome, plein de probité et le maitre de sa matière; ce sont les qualitès
qui constatent l'authorité des livres historiques, et ayant lu a peu=
près touts les bons, je n'en connois point qui mèritent une créance
plus assurèe; voila mon cher amy d'ou j'ay tiré ma confiance et j'ay
cru que c'en étoit assès pour un homme de mon etat ayant dailleurs
autrefois lu bien des livres de controverse, mais sans jamais avoir
été tenté de quitter le tronc pour aller aux branches, comme je l'ay
je l'avoue, été de laisser l'arbre tout a fait. le peu de gens mème
<2r> nès et élevès dans la réformation avec lesquels j'ay pu causer m'ont
avoué que s'ils étoient résolus de vivre en bons chretiens ils ne se
croiroient point du tout assurès dans la croyance d'aucune des sectes
qui se sont élevèes depuis 200 ans, mais que vivant dans le monde
et nous touts aussy légérement soux un étendard que soux l'autre
ce n'etoit pas la peine d'analyser différentes drogues quand on n'en
veut point prendre, d'autant que faire une ètude sèrieuse est un
engagement pour agir en consèquence et changer de religion un pas
dèshonorant pour qui ne veut pas ètre un saint après.
si c'etoit quelque affaire particulière pour laquelle il fallut faire
consultersolliciter Mr de chavigny je serois a portèe de cela, mais pour des
affaires publiques (dont je ne me veux point mesler) cela auroit l'air
de se fourrer mais s'il y a quelque mèmoire a luy faire tenir, c'est un
homme qui ne néglige rien et il sera fort bien reçu en le luy adrès=
sant directement. adieu mon cher amy je vous embrasse de tout mon
coeur Mirabeau
Monsieur
Monsieur de saconay
a berne