Transcription

Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Le Bignon, 21 décembre 1751

du bignon ce 21e Xbre 1751

une toux assès violente sur tout la nuit mon cher saconay, quoy=
que causée plutost par un agacement de poitrine que par un Rhu=
me m'a empèché jusques a présent de répondre a votre chère lettre
parceque je voulois le faire en détail et que l'écriture me fait beaucoup
tousser; cepandant cela deviendroit trop long et quelle que soit la
diversité de nos croyances il y en a si peu dans nos sentiments qu'ils
meritent de se tenir fréquente compagnie, du moins quand cela ne vous
ennuyera pas.

je suis fort aise que vous ayiès été content de mes principes touchant
les bornes qu'on doit donner a l'empire de l'ame sur les affections de
la nature. quand a ce qui concerne le point principal entre nous dis=
cuté, si nous ne diffèrions qu'en des points de controverse, je vous sui=
vrois volontiers pied a pied et quoyque vous soyiès bien plus versé
que moy en ces sortes de choses je ne déséspérerois pas de justifier a vos
yeux les points qui vous paroissent les plus difformes, si nous dispu=
tions dis je d'authorités a authoritès; mais dèsque vous n'en reconnois=
sès aucune et vous en raportès uniquement au sens d'un chacun pour
expliquer et apliquer a la croyance et a la conduite de la vie ce qui est
contenu dans les livres du nouveau testament, je vous avoue que je suis
plus prèt a m'embarquer avec confucius qu'a étre des votres, si je lis
st paul je trouve qu'il dit tantost blanc et tantost noir; jesus christ
me paroitle tantost par paraboles tantost a dècouvert, tantost il les
explique, souvent il les embrouille de façon a ny rien comprendre
souvent il prèche, d'autres fois il refuse mème de parler raison, tantost
il répète, d'autres fois il tourne si court que je crois qu'on a malentendu
<1v> et plus je relis ce livre qui doit seul guider le plus simple artisan
plus je me trouve au dessous de cet artisan et c'est pour moy une pierre
de scandale toutes les fois que je ne l'ouvre pas dans l'esprit d'humilite
et de sacrifice de mon propre sens et a la foy aveugle; je sens bien mon
cher amy que vous voudrès me l'expliquer, mais en ce cas nous voila
revenu aux docteurs, et permettès alors que nous cherchions les véri=
tables; mais tant que vous n'en admettrès point je ne pourray dans
cette hypothèse regarder tout ce tissu que comme venant d'un impos=
teur monstrueux qui nous a donné un corps de croyance et de morale
d'ou l'on a tiré et tirera toujours mille sistèmes extravagants qui touts
ensemble doivent composer le culte agrèable a la divinité; encore un
coup mon cher amy je n'en pourray jamais rien croire. mais pourquoy
me disputer des docteurs et une authorité subsistante après luy puis=
que luy mème en a étably puisque son église a subsisté plusieurs ann=
èes sans qu'une seule ligne du nouveau testament fut écrite; st pierre
dans le premier concile ajoute l'authorité du concile a celle du st esprit
et dit il a semblé au st esprit et a nous, les apotres ont imposé les
mains a leurs successeurs, cette imposition leur attribuoit quelque chose
ou rien, si ce nest rien les apotres étoient des fanatiques, si cest quel=
que chose quest ce que le droit de battiser d'instruire, dadministrer et st
paul etoit il un docteur? a-t-il ajouté quelque chose a l'évangile ou si sim=
plement il l'a préchèe et commentèe? la prètendue contradiction des con=
ciles oécuméniques est un point de controverse je n'ay pas entrepris d'en
traiter aucun icy, mais j'en reviens a mon point qui me desole parceque
sans ce point toute notre négociation est rompue; je veux une autho=
rité je veux des guides choisissès les ou vous voudrès je tiens les miens
nous serons alors en passe de convenir de bonne foy, mais jusques la je
craindray comme le feu de m'embarquer sur le fragile esquif de mon
propre entendement qui de luy mème n'eut jamais aproché de
<2r> la foy a la création, et a la rédemption qui fait tout mon espoir
et qui fera j'espère un jour ma consolation; sans guide je n'eusse pas
assurément été jusques la, et je ne me sens pas assès fort je vous
jure pour marcher sur ma propre conduitte. j'aurois mille choses
encore a dire sur cet article mon cher saconay mais pardonnès a ma
poitrine et ne contès pas me tirer de ce point.

recevès les compliments de toute notre maison pour la bonne annèe
pour vous et pour vos dames que j'assure de mon Respect et conservès
moy votre amitié qui mest chère comme elle me le doit ètre

Mirabeau

je parts le 2 du mois prochain pour paris; cette annèe est terrible=
ment disetteuse par toute la france.


Enveloppe

Monsieur
Monsieur perrault pour faire
tenir a Mr de saconay
A genève


Etendue
intégrale
Citer comme
Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Le Bignon, 21 décembre 1751, Collection privée. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: https://lumieres.unil.ch/fiches/trans/193/, version du 03.04.2017.
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