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Lettre à Frédéric de Sacconay, Le Bignon, 12 novembre 1751
du bignon ce 12e 9bre 1751
je commence mon cher amy par vous demander pardon de la pron=
titude de ma rèponce mais comme je suis exact je vous traite en
cela comme tout le monde, et dailleurs il me semble qu'en un
temps ou votre ame est oppressée la conversation d'un amy véri=
table ne peut vous paroitre trop fréquente.
en raportant a dieu toute votre force a dieumon cher amy
cest oter toute idée de présomption 2 caractères biffure a votre consolation; cest de
luy que vient toute force vèritable mais il n'en faut espèrer que
proportionnèe a celle des organes auxquels il a enchainé notre ame
dans ce séjour d'épreuves; cest au ciel et ce nest que la que les justes
pourront parvenir a confondre dans la divinité leurs peines, leurs
plaisirs toutes leurs affections enfin; cest la le souverain bien
qui n'est icy bas qu'inquiétude en tout genre soux les noms diffé=
rents de concupiscence, ambition, avarice, 1 mot biffure orgueil &c tout ces
mouvements sont des monstres des qu'ils s'ècartent de leur objet
se nomment vices et engendrent les crimes, ils sont vertus et
produisent les bonnes oeuvres des quils sont dirigés vers le lieu de
leur émanation, mais ce n'est que dans le ciel qu'ils seront entière=
ment èpurès et iront se perdre dans le souverain bien la souver=
aine grandeur, la vraye richesse et la seule 1 mot biffure perfection jusques la
notre ame n'a que des élans et des desirs et ce seroit donner dans
un quiétisme dangereux que de croire pouvoir parvenir a étoufer
les mouvements de la nature pour ne voir et ne sentir qu'en dieu.
il nous ordonne mème ses attachements il les veut subordonner a sa
volonté, mais on peut regarder les afflictions qu'il nous envoye
comme un fleau; on doit a la vèrité adorer la main qui nous
frape comme aussy juste que puissante et nous ordonnant d'ai=
mer sa justice ainsy que ses autres perfections, mais l'affliction
<1v> n'a rien de commun avec le murmure, elle doit ètre sensible, vive
et passagère comme tout l'est icy bas; ne pensès donc pas mon cher
amy que votre tempèremment doive ètre pour toujours altèré au
point de demeurer en cet ètat de contemplation concentrèe que votre
douleur vous a rendu nècessaire, plus habituelle, mais qui altèreroit
certainement votre santé; la vèritable piété donne lègalité de l'une
change les accidents, 1 mot biffure mais se fait dailleurs a touts les tempèrem=
ments et n'en change point le caractère primitif.
je m'attendois bien mon cher amy a vous trouver sur la foy au
point ou je vous avois laissé, votre caractère sage et permanent
ne comporte point les perpètuelles 2 mots biffure gradations des notres soit
en bien soit en mal; il est vray que je ne scavois précisément ou
je vous avois laissé et ce m'est une grande douceur de vous que
vous adorès comme moy le dieu redempteur, lespoir des pècheurs
et de ceux qui sont chargés; il a dit qu'il ne soufriroit pas que ceux
qui le cherchent avec un coeur droit fussent ègarès, cest un grand
point et ce n'est pas de moy que vous aprendrès a le chercher. mais
permettès moy cher amy de vous demander comment il se peut
faire qu'avec aussy peu d'étude que nous en avons vous puissiès
dire que vos idées sont si lièes sur votre croyance que vous ètes
parfaitement tranquille, tandis que de votre aveu elles sont entier=
ement oposèes sur la trinité a celles de vos docteurs et des notres.
sans entrer dans des discutions de controverse ou je n'aurois pas
beau jeu avec vous, il est de fait que le trisagion tel que nous le
croyons et répétons aujourd'huy est du concile de nicèe, temps ou
l'èglise étoit pleine de martirs qui par une sainte génération
remontoient jusques aux apotres dont la foy transmise de cica=
trices en cicatrices parla sur les sièges de cette cèlèbre assemblèe
<2r> temps ou vous ne prètendès pas que lèglise fut encore corrompue.
pesès bien les difficultès qui vous viendront en pensèe contre la
trinité vous verrès quelles ne sont fournies que par l'imagination
qui transporte les images des corps aux choses les plus spirituelles, mais
il n'en est point qui naisse de l'idée de la pensée, et surtout de la
pensée parfaite dont nous sentons et connoissons l'existence mais
dont l'éscence est au dessus de nos foibles conceptions. or cest de cette
derniere source, je veux dire de l'idée de la pensèe que devroient
partir les objections contre le mistère d'un dieu en trois personnes
pour mèriter quelque attention puisque dieu est un esprit. sans doute
ce mistère est au dessus de notre raison mais il n'est pas contre; jesus
christ ne nous dit pas de croire troix dieux en un seul ou un seul dieu
en trois la contradiction seroit visible mais il nous dit de croire un dieu
en troix personnes ce n'est point la mème idée qui est attachèe a ces
termes. il n'a pas plu a jesus christ de nous rèvèler ce que nous devons
prècisément entendre par les termes d'éscence et de personne mais
l'incomprèhensibilité du mistère qu'il nous propose ne doit pas nous
empècher de le croire; et que croirions nous si l'incomprèhensibilité
étoit un motif d'incredulité qu'y a til qui ne soit au dessus de notre
intelligence, notre ame est une énigme a elle mème, nous dèmontrons
l'étèrnité la comprenons nous? comment une durèe que nous divisons
est elle infinie; les infiniment petits nous engloutissent pourrons
nous sonder l'infiniment grand; vous avouès mon cher amy que vos
docteurs et les notres ont erré, et qui vous cautionne, votre jugement
par dessus celuy de tant de guides èclairès; je conçois alors que le
sentiment de tolèrance pour tout genre de foy vous est nècessaire;
mais sans attester l'incompatibilité de cette tolérance, qui peut seule
vous empècher de damner tout le monde en vous sauvant tout seul,
de son incompatibilité dis je avec l'infinie vèrité et l'infinie justice
<2v> 1 mot biffure qualitès qui ne peuvent recevoir de modification sans altèrer
l'idèe de linfiny cest a dire de dieu votre tolèrance ne pourra s'em=
pècher de s'ètendre pied a pied sur toute secte, toute religion, le
dèisme, l'athèisme, le pyrrhonisme s'il pouvoit exister. cher amy
craignons sur toutes choses les sentiments particuliers craignons
d'abonder dans notre sens, malheur a toute certitude, tout ce qui
n'est pas soumission, tremblement, humilité, est aveuglement est or=
gueil opiniatreté dèguisèe ou du moins fausse sècurité; ne croyès
pas cher amy que je veuille icy vous endoctriner et pardonnès a quelque
chaleur s'il en a paru dans ce que j'écris; mon dessein n'est pas de
pèrorer et faire de l'éloquence, mais de me raprocher de vous si vous
avès raison et de vous raprocher de moy si je n'ay pas tort; la vèrité
n'est quune encore un coup si j'avois un jour la satisfaction de nous
voir reunis sur le point le plus escentiel de la vie, je croirois alors notre
amitié digne de plaire au souverain maitre; je ferois bien du chemin
pour cela et ce ne seroit pas la première fois que l'amitié auroit
fait de tels efforts, vous avès d'habiles et sages docteurs pour amis
j'en connois de tels aussy et surtout très doux qui ont de l'amitié
pour moy; un jour peutètre nous pourrions faire un petit congrès
en toute tendresse et amitié laissès moy du moins m'en flatter
et contès mon très cher que vous n'avès pas au monde un meilleur
amy que moy.
mille Respects a vos dames, récrivès moy promptement et je vous
détailleray le remède pour Melle lolotte car cest une dissertation
et je suis accablé de lettres et de visittes de la st-martin. adieu
cher frere ne montrès cecy a personne.