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Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, 25 février 1751
de paris ce 25e fèvrier 1751
j'ay reçu il y a deux jours mon cher amy votre lettre du 20 du
courant ce qui me fait croire que vous l'avès antidattée. je vous jure
que l'état cruel ou se trouve Melle lolotte auquel la gradation de
soufrances par lesquelles elle a passé vous a accoutumé m'a percé
le coeur, il y a lâ de quoy tuer vint personnes robustes. jay consulté
un anglois qui professe la mèdecine par gout qui a la confiance de
bien des gens et beaucoup de vèrité dans son discours, il a lu et
relu la consultation et l'etat, et bien des choses l'ont surpris
et entrautres que dans un si cruel état d'obstruction elle soit assès
aisèe a purger pour que le petit lait fasse cet effet; j'ay comme
vous pensès, bien ècouté le rèsumé de son avis et le voicy.
le mémoire est très bien fait, la maladie a été suivie avec atten=
tion dans tant de simptomes embarassants et avec une grande con=
noissance des remèdes, mais la mèthode a été trop allemande (il
m'a dit cela sans scavoir dequel paÿs venoit la consultation) en
ce que les mèdecins allemands qui ont affaire a des corps glaireux
mettent avec succès les remèdes chauds en usage, dans ce cas cyicy ils sont très
contraires et propres a irriter l'humeur dartreuse qui attaque tan=
tost le sang tantost les viscères et cause tant de ravages. somme
toute il conseille les eaux de seltz eaux allemandes et fort connues
partout, une pinte touts les matins a diffèrents verres, si elles
ne passoient pas dabord, 1 mot biffure ce qu'il a peine à croire, il faudroit
en rendre les premieres prises purgatives par quelques sels,
<1v> peu èchaufants; après avoir pris ces eaux pures pendant quinze
jours, il les faut couper de lait a scavoir chopine de l'un et
chopine de l'autre, en obsérvant de bien ècrèmer le lait avant
de le mèsler, et continuer ce règime longtemps en donnant
avis du progrès du remède ou du contraire. voila mon cher
amy le prèçis bien exact de la consultation d'un homme fort
habile et qui mèrite confiance, je me hate de vous lenvoyer, si vous
desirès des consultations en forme de du moulin vernage et autres
fameux charlatans parisiens, ces secours grace a dieu ne nous
manqueront pas mais j'ay mieux aimé me hater et vous parler
françois que toutes les amphibologies moitié compliments moitié
dissertations dont je peux vous gratifier dautant que vous ne me
demandès que le rèsultat de la consulte et qu'il me semble que cela
presse, car en vèritè je suis pènètré de l'état ou je scay Melle votre
soeur.
je vous parleray peu d'autre chose aujourd'huy; je vois d'icy la
besogne du renouvellement d'alliance difficile en un temps ou la con=
fiance est mal ètablie partout, et avec un peuple qui ne répond
qu'a ce truchement là, avec lequel il faut traiter et conclurre
en bonne foy ou traiter et conclure en vain.
je vois venir le temps d'une nouvelle nomination et remplacement
et je brigue mentalement pour vous mon cher amy.
quand a moy je vis au milieu du tourbillon quand au local et au
bruit, mais fort dètaché de cela, nayant nulles vues d'ambition ny
<2r> d'intèrest, cepandant tout est si loin et si compliqué icy que les
affaires oeconomiques et mème les visites y sont une affaire, le
temps fuit en attendant et voila mes études. quand a ma famille
ma mère se porte bien et pensant toujours a vous avec tendresse
elle regrette de n'avoir pu vous faire lire son bourdaloue tout
entier; de 7 enfants que j'ay eus il me reste 4 filles et un garçon
et Me de Mirabeau este grosse avancée, fècondité qui compose
en ce paÿs cy une autre singularité. adieu cher amy, vous avès
mille compliments d'icy, je vous embrasse de tout mon coeur et
offre mes Respects a vos dames.
Monsieur
Monsieur perreault a genève
pour faire tenir a Mr de saconay
a genève