Transcription

Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Mannheim, 07 septembre 1735

du camp devant manheim ce 7e 7bre 1735

il etoit juste mon cher pilade que nous nous cherchassions l’un
et l’autre, mais je ne scavois ou te prendre et je te croyois plutost
dans l’armée ennemie que dans la notre, tu avois au contraire
une adresse sure de moy, au lieu que je ne scais presque encore
ou tu es ne men donnant point 1 mot biffure dans ta lettre cepandant
les compliments que tu me fais de mr de villards 2 mots biffure
me font croire que tu est dans les gardes suisses et je ty écris
au hazard remercie le bien aussi bien que du crêt de son souvenir
pour moy, parlons donc de nos affaires mon cher

a te dire le vray les grands changements qui se sont faits en
moy depuis que nous nous sommes perdus de vue, me font
craindre qu’il ne te soit arrivé la meme chose, et de ne plus
retrouver en toy les mémes épanchements de cœur la brievete
méme de ta lettre semble me le denoter, mais après tout
je fais reflexion que cest une lettre premiere lettre et que tu
m’ecris dans toute la dissipation d’un homme qui scait se
produire dans une armée, et qu’enfin si tu n’as plus le mème
gout pour les confidences d’amy et les raisonnements tu es
trop honnete homme pour en m’ésuser

commençons par mon etat dans le quel je nay reculé ny avancé
dans un temps de circulation pour tout le 4 caractères biffure monde tu as
eu a combattre en faveur du metier la tendresse d’une mere
et je crains d’avoir bientost le juste mécontement dun père qui
apres 30 ans de services distingués dont il n’a tiré d’autre toujusqu'à la fin de la ligne dommage
que de cruelles blessures ne peut obtenir l’agrément dun répjusqu'à la fin de la ligne dommage
<1v> que je ne mérite pas a la verité mais que je ne démérite
pas plus que tant d’autres a qui lon en a donné. mon
pere me mande sans cesse que jay de quoy me passer du métier
il ne me parle pourtant pas encore de le quitter mais jay
grand peur que si une tentative que j’iray faire cet hyver a
paris ne reussit, qu’il ne veuille et 1 mot biffure je nay jamais scu ce
que cetoit que de luy faire 1 mot biffure vouloir une chose deux foix voila
quand a létat voicy qua pour l’esprit

je suis le meme que tu m’a connu la guerre et lamour m’ont pourtant
fait perdre de la culture jay lu plus au hazard, mais en revanche
je me suis plus appliqué a retenir ce que jay lu, et jay gagné aussi
dans létude de le faire valoir. quand aux affaires

mon père me donne 2001 caractère tache deux mille livres de pension et ma fait
present de quatre mulets au commencement de la guerre avec cela
et les revenus d’une miserable compagnie d’infanterie il faut
sentretenir nourrir 8 chevaux 6 valets &c sans conter les
depenses de l’hyver et je nay rien épargné, je ne serois
pourtant pas extraordinairement mal si je neusse perdu la
campagne passée 100 louis au jeu, mais je l’ay fait aussi bien
que des pertes en chevaux dont tout récemment un espagnol qui
m’avoit couté 21 louis est devenu aveugle ainsi je suis extrémemen
endeté

le bon sens est ce qui a le plus soufert quand je veux raisonner
dabort l’idée de mes dettes me vient en pensée je my
livre et fais des projets d’arrangement, d’un autre coté je ne
veux pas démordre de touts ceux de plaisir et de commodité
que javois faits si bien que pour ne pas décider je m’etourdis, 
cependant la conduite se trouve quelquefois assés mal de cet
<2r> interregne, soutenu dun caractere vif ou jay puisé ta maxime
qu’il ne faut jamais etre en segond nulle part, suis je avec
des carilloneurs cest la foudre avec des orduriers je les fais bailler
des scelerats je les frape d'etonnement des impies je les fais
trembler, tout cela m’est pourtant arrivé au pied de la lettre
sans etre déterminé pour aucun de ces vices, tout cela au moins
n’est qu’en campagne car jusques aprésent jay toujours passé pour
sage dans les villes

quand au cœur je suis amoureux a nancy d’une très belle personne
je ten pourray dire plus sur cela une autre fois

voila mon cher ton amy découvert devant toy pour te prouver
qu’une interruption de commerce na pas diminué sa confiance
tu n’en as jamais eu tant pour moy

d’ovet est dans un corps fort brillant jy ay pu entrer il y a longtemps
mais lon ny devient pas ordinairement grand officier je lay vu
passer avec sa troupe il me salua fort froidement je pris cela
pour l’esprit du corps qui se trouvoit deshonnoré par la connoissance
dun plat fantassin

adieu mon cher si je ne mets pas bien ton adresse reforme la
sois persuadé que tu mes plus cher que qui que ce soit dans le
monde... manon... pourtant... adieu mirabeau

ta lettre est bien vielle car je la reçois présentement

Etendue
intégrale
Citer comme
Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Mannheim, 07 septembre 1735, Collection privée. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: https://lumieres.unil.ch/fiches/trans/183/, version du 21.05.2013.
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