Transcription

Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Epître, [s.l.], [s.d.]

épitre


o toy qui dans des temps aux lachetès vendus
sans crainte parus juste et l'amy des vertus
qui de ladolescence encor sortant a peine
a lesprit du françois joins une ame romaine
et qui vois du mème oeil et tes pales censeurs
et les cris de l'envie et l'ençens des flatteurs
 

je me rends cher le franc au conseil salutaire
que me donna jadis ton amitié sincère
et letude en ce jour sur des tons diffèrents
va donner plus de regle a mes jeunes talents
de tes sages avis je me souviens encore
ils vont en moy fixer un feu qui s'évapore
 

calme me disois tu les mouvements divers
il est vray le talent dicte dabord les vers
mais que deviennent ils sans leffort de la lime
richelet mieux que toy trouveroit une rime
et dictant sans effort des méchaniques sons
de quelques mots usés rempliroit ses chansons
a la belle philis dans un charmant boccage
les bergers d'alentour rendroient un tendre hommage
ou déplorant leur sort a l'ombre des ormeaux
feroient de vains soupirs enfler leurs chalumeaux
mais ce n'est point ainsy qu'au sommet du parnasse
un homme tel que toy doit briguer une place
laisse un pareil support a ces foibles autheurs
beaux esprits enfantès par de sots protecteurs
sans lespoir d'une èpitre introduits sur la scene
et chassès du theatre en dépit du mècéne
<1v> qui loin de penser juste et rimer des a propos
cadençant de vains sons, n'arrengent que des mots
laisse a jamais ramper cette cabale obscure
ils ont besoin de tout, mais toy que la nature
et que ton astre heureux prodigue en ses faveurs
doua des qualitès qui sèduisent les coeurs
toy qui joins a l'éclat d'une naissance illustre
des biens selon ton rang le nécessaire lustre
il est pour t'annoncer cent moyens diffèrents
sans que de méchants vers soyent tes foibles garands
 

je n'en fais pas métier dis tu, vaine chimère
fronde les vers d'autruy, mais garde toy d'en faire
rejoins de nos marquis les flots tumultueux
ils n'ont jamais douté va dècider comme eux
va faire hautement preuve d'insufisance
et jouir en un mot des droits de ta naissance
 

mais si sur quelques traits avouès d'apollon
tu crois pouvoir entrer dans le sacré vallon
souviens toy chaque jour qu'en un rang honorable
la médiocrité devient inexcusable
l'impérieux lecteur a qui tu t'es soumis
lance sur tes pareils des regards ennemis
dans un cercle bruyant de commères titrèes
sèjour du gout frivole et des phrases outrèes
le robin se rengorge et fier comme au palais
il juge ton ouvrage aussy mal qu'un proçès
montrès en les dèfauts aristarque moderne
moy je détaillerois en esprit subalterne
tout my choque en un mot rèpond il a l'instant
faux mal écrit, mauvais, jay lu, je suis content
<2r> tu frémis je le vois et de honte et de rage
il parle impunément des sots cest le partage
mais il faut peser tout alors que l'on ècrit
sur quelques traits manquès un autheur est proscrit
en vain de son arrest il murmure il apèle
ses vers vont chex mon suisse embrasser la pucèle
ou de mes creanciers rebuts secs et poudreux
d'un fer intempèré garentir mes cheveux
 

enfin pour voir le but ou tu prètends atteindre
songe qu'a chaque pas un èceuil est a craindre
tu joins au feu l'aisance et d'aimables talents
présages sèducteurs de tes succès brillants
mais loin de téblouir songe que la nature
en nous comme en nos champs a besoin de culture
mieux que le sable on voit les lieux les plus fèconds
incultes se couvrir de ronces de chardons
ainsy redoute en toy ton heureuse abondance
écris, suis ton ardeur mais ensuitte vois pense
qui scait lire effaçer est poete en effet
la nature le marque et le travail le fait
 

cest ainsy que servant une amitié bien chère
a mes dèfauts, a moy tu voulois me soustraire
mon coeur et mon esprit t'écoutoient sans effort
mais ou le naturel n'est il pas le plus fort
les vers libres, aisès, ègayoient ma paresse
je fuyois tes leçons elle étoit ma maitresse
tantost sans nul objet et rimant au hazard
mes sons se rencontroient et sans peine et sans art
tantost froit écolier de l'aimable chapelle
je redouble la rime et me perds avec elle
<2v> fécond a tout tuer linière avec effroy
surpassé dans son art auroit fuy devant moy
profusion de mots facilité barbare
dont crispin menaçoit le rival de pindare
jen vois touts les èceuils et je suis tes leçons
mais pour m'encourager reçois mes premiers sons
trop indigne tribut de ma reconnoissance
cest moins m'offrir a toy que demander creance
jette un beau coloris sur mes foibles desseins
apollon a remis sa lire dans tes mains
dans ces vers au public te déclarer mon maitre
sous un brillant appuy cest me faire connoitre
veuille le dieu puissant des cèlèbres trépieds
sur le mont quelque jour me soufrir a tes pieds

fin

Etendue
intégrale
Citer comme
Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Epître, [s.l.], [s.d.], Collection privée. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: https://lumieres.unil.ch/fiches/trans/168/, version du 17.11.2024.
Remarque: nous vous recommandons pour l'impression d'utiliser le navigateur Safari.