Transcription

Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, 04 août 1749

de paris ce 4e aoust 1749

lhomme est un singulier animal mon cher saconay, et l'aspect
de la bizarrerie et des vices aux vers lesquels il s'elance etant
dabord heureusement né, devroit dègouter tout spèculateur
de la société s'il ne valoit mieux au fonds prendre la contre partie.
je me promenois il y a quelque temps dans les dèlicieux jardins
de la maison de campagne du vice amiral de court celuy qu'on
a tant voulu dètracter a l'occasion du combat naval de la
cioutat
en 1744 ou nous étions les espagnols et nous contre
les anglois; cest un viellard presque nonagénaire que le grand
exercice et lea régi frugalité ont maintenu dans une forte
santé qui a dailleurs dans lesprit toute la philosophie lélé=
vation et la fermeté possible; comme il fait 4 lieues par
jour au pas il a la jambe encor invincible le reste de la
compagnie fut bientost laissèe derrière et moy seul qui
ay le pied campagnard je demeuray, il me mesne dans une
sorte de grotte a l'entrèe de la quelle sont dèmocrite et hèraclite
chacun dans leur attitude de caractère; quand je fus rapelé
me dit il et que je vis tout dèchainé contre moy, les trahisons
les libelles, les mauvais bruits suscitès et apuyès par l'authorité
<1v> sacharner a flètrir ma viellesse et a porter ma prètendue
infamie en des lieux ou mon existance etoit mème inconnue
je venois me cacher icy, a peu près dans l'attitude de ce pleureur
mais dit il son antagoniste que vous voyès me montrant au
doit et se moquant de moy m'aprit a me moquer des autres
je luy dois la vie, ce n'est pas sans doute pour longtemps mais
qvous qui devès vous promettre encor bien des annèes vous
aurès vos maladies de l'ame, ne prenès si vous m'en croyès d'autre
médecin. il seroit bien difficile mon cher amy d'apliquer la
recette de ce psage viellard a un objet aussy tragique et digne
d'horreur que de voir les chefs du plus doux et du plus èquitable
des gouvernements exposès a la rage des conjurès comme des
tirans. quelles que puissent ètre les injustices de dètail et la
brigue intérieure il est indigne de l'humanité de voir les sujets
d'une rèpublique ou le fiscq est nul environnès de peuples touts
également accablès de ce monstre soux différents princes
conspirer contre la patrie, j'en suis je vous assure pènètré, et je
vous assure jure que si le sort eut voulu que par les arrangements
que j'avois en vue je fusse devenu sujet en partie de cette rèpublique
je luy aurois en cette occasion voué moy les miens et tout mon
avoir; j'ay vu villards capne aux gardes qui m'a paru persuadé
de quelques vices deu gouvernement je l'ay prié de jetter les yeux
<2r> sur le reste de l'europe. quoyqu'il en soit je suis effrayé de voir
les hommes si aveugles; je suis persuadé mon cher amy que
votre bonne volonté en cette occasion vous aura servy dans les=
prit du magistrat, et en vous faisant connoitre, et en dimin=
uant aussy un peu de cet esprit de sécurité qui toujours pré=
occupe un peu les gouvernements heureux et leur fait nègliger
le mèrite. adieu mon cher amy donnès moy de vos nouvelles
de temps en temps je vous suplie et contès quelles n'intèressent
personne plus que moy.

Etendue
intégrale
Citer comme
Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, 04 août 1749, Collection privée. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: https://lumieres.unil.ch/fiches/trans/158/, version du 19.06.2013.
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