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Lettre à Frédéric de Sacconay, Le Bignon, 01 mars 1749
du bignon ce 1er mars 1749
vous me donnès mon cher saconay plus de mal a la tète que je
ne scaurois dire, non que le travail et les ressources a imaginer
soient choses a moy bien ètrangères, mais cest l'infructueux de
ce travail que je redoute et en vèrité ce seroit bien dommage.
on voit bien que vous ètes en un paÿs d'aisance quand vous parlès
d'emprunter; personne aujourd'huy ne trouve en france des sommes
un peu considèrables mème au six pour cent et quand j'en trouve=
rois a ce prix vous ne me conseilleriès pas de faire un èchange
si pesant que le seroient des fonds empruntès au six et placès au
troix, cest le moyen de s'abimer dans peu. jay ècrit en provence
ou j'ay un très habile homme, et bien des fonds dètachès, pour
qu'il fit de son mieux pour me faire 100000 lb, mon hotel a paris
est affiché mais il ne s'offre que gens qui offrent des contrats
et peu d'argent, hors des contrats sur des particuliers ne se peu=
vent commercer, enfin je crains mon cher amy que si vous ne
m'aidès de deux façons 1° en me faisant diminuer l'argent comptant
2° en m'en faisant prèter avec hypothèque sur la ditte terre je
seray obligé de saigner du nès sur une besogne que j'ay et dois
avoir plus a coeur que toute autre que j'aye en ma vie
<1v> entrepris; il ne faut pas douter que je ne sois bien exactement dans
l'intention de me faire des amis a berne, et d'y rendre en outre touts
les devoirs attachès a la possession des fonds dans lètat et au desir
d'une habitation qui me rendroit leur sujet; vous ne devès pas
craindre, que je ne trouvasse bien le moyen dy ètre aimé, outre qu'=
une grande avance pour cela c'est d'aimer les gens et que vous sca=
vès ma prévention pour eux depuis l'age de 17 ans, cest que mes
moeurs et mon extérieur sont précisément celuy de la loy de reforme
tant pour ma personne que pour ma femme, mes domestiques &c.
quand a ces derniers ne craignès pas qu'il y eut aucune occasion de
scandale; il est peu de maisons et peutètre point ou il y ait d'aussy
bons domestiques que chex moy et je n'en garde point de mauvais; vous
m'avès fait grand plaisir par l'article concernant le point de la religion
quoyque comme je vous dis ce plaisir la soit meslé d'une amertu=
me proportionnèe a la crainte de ne pouvoir reussir. grand mercy
de nouveau mon cher amy de toutes les douceurs que vous voulès
bien nvous promettre de notre reunion, scen seroit une que je vois certaine
d'icy, que l'union de nos deux familles en tout ce qui les compose
la mienne ne pourroit qu'y gagner; ne parlès de cela qu'au moins
de personnes qu'il sera possible, et je vous en prie ne perdès pas de temps
a me mander le nec plus ultra des conditions que vous aurès obtenues
et l'argent qu'il faut en évaluation d'argent de france, afin que je
vous puisse dire au plutost si j'y puis atteindre, car outre que je veux
<2r> èviter toute ombre du procèdé de les tenir le bec dans leau cest que
vous sentès bien que cela me doit retenir sur bien d'autres arrange=
ments et tenir en un suspends trop considèrable. adieu mon cher
amy mille remerciments de tant de marques d'amitié pour votre
très fidèle
Mirabeau