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Lettre à Frédéric de Sacconay, Le Bignon, 28 janvier 1749
du bignon ce 28e janvier 1749
je répondrois mal a votre amitié mon cher saconay et a vos soins
si je tardois a vous faire scavoir de mes nouvelles d'après le mèmoire
que vous avès eu la bonté de me faire passer. quoyque j'aye
trouvé la dixme moins forte et larticle du vin plus fort que je
n'avois cru, en tout je vois que cest un effet admirable, ce qui
m'a surtout frapé cest laisance et la solidité des batiments, oéco=
nomiques; dans la position ou cela se trouve ceux d'habitation
deviennent très intèressants pour moy, puisque au lieu de quel=
ques sèjours de temps en temps qui ètoient la seule chose dont je
me pusse flatter dans mes premiers projets, je me verrois dans
le cas d'y fonder mon habitation, vu la proximité de gez ou je
pourrois ètablir un logement pour mes malades un peu dangereux
de la maison et pour les temps ou les lexercices de religion sont
plus frèquents. ou Mrs vos ministres ont bien changé ou nous
nous accomoderions bien ensemble, car pour moy si j'ay changé
c'est en mieux et toute douceur et charité, dont l'usage accoutu=
meroit je crois bientost les peuples a ne pas avoir déloignement
de moy; j'aurois toute commodité de faire maigre a bon marché
je ne verrois pas vexer les paÿsans et le misèrable, je vivrois en
paÿs nombreux en societé, et bonne, et ce qui est par dessus tout je
vivrois avec mon cher saconay et nous retrouverions ensemble, la
confiance et la candeur de la premiere jeunesse jointes a lexpèrience
<1v> et aux connoissances acquises par l'age. touts ces projets me
poussent terriblement en avant, mais je crains bien que ce ne soit
icy le voyage de corinthe; tu m'avois dabord parlé de cet objet
comme d'un effet de 8000 lb de rente qu'on auroit pour 80 mille
écus, cest au troix et demy pour cent et assurément sur ce pied
la je signerois tout a l'heure, tu disois qu'on auroit les meubles
et dans la lettre a toy adressèe on parle d'en faire une composition
a part, cest un objet qu'il faudroit conserver s'il etoit possible car
je vendrois ailleurs mon mobilier superflu au lieu que le transport
de ces sortes de choses m'a dèja ruiné par les droits et autres frais.
mais mon cher amy la plus grande pierre d'achopement est l'ar=
gent immense qu'on demande aujourd'huy quoyque la composition
telle qu'ils la demandent soit honnète a cet ègard; quand je songe
que nos louis ne valent que 14 lb a genève, et que consèquent le
tiers des 80 mille écus mème dont nous nous étions flattès fait
130000 lb de notre monnoye, les lods et ventes, en retranchant le
mobilier et les èpingles vont encore a 55000 lb au moins ce qui
fait en tout 185000 lb argent contant aujourd'huy, je me demande
si je suis fou de penser a chose pareille, car il me paroit par lex=
posé qu'il est inutile de traiter de ces lods et qu'on n'en fait aucune
diminution comme par tout ailleurs; je tay dit dans ma prècèdente
mes ressources actuelles et prochaines; ce n'est pas pour te dire que
je ne fasse un effort surement mais il ne scauroit aller jusques la.
pour conclurre mon cher saconay et te faire un rèsumé du total sur
lequel tu puisse agir et terminer ou ne t'y amuser pas davantage
voicy ma derniere ressource.
<2r> je suis connu de Me de copet que tu as j'ay vu chex Mr de st george
Melle lochar avoit des bontès pour moy, peutètre mon nom portera
vertu, attendu que soit a paris, soit en provence ou lon peut avoir
correspondance par lion on scait que je suis riche et honnète homme
je puis suporter avec ma fortune prèsente qui est fort retrècie eu ègard
a ce qu'elle sera que mon argent soit placé au 3 pour cent touts frais
faits, bien entendu comme tu dis que le 3 et 1/2 vaudroit mieux si
nous le pouvions obtenir
mais il faut obtenir diminution d'argent comptant actuel observant
que mon intention est de réaliser d'autres fonds en ce lieu la, et qu'on
ne trouve pas son fait du jour au lendemain condition sans laquelle
nous ne pouvons mordre.
il faut obtenir des termes pour le restant les plus èloignès que
tu pourras, et l'intèrest courant sur le plus bas prix qu'il sera
possible. permission de se libérer par grosses ou petites sommes a
mesure qu'il m'arrivera de l'argent et tu statueras de quelles som=
mes pourront ètre les dits payements au moins
quand tu auras tiré le dernier mot sur tout cela et le meilleur party
qu'il sera possible tu m'en aviseras et je te manderay si je puis accep=
ter ou s'il faut retirer nos enjeux; afin que tu ne sois pas compro=
mis par une longue négotiation dont ils auroient a se plaindre.
du reste mon cher amy je m'en raporteray totalement a votre
prudence, pour les suretès dans l'acquisition et autres observations
a faire par tout paÿs, ou particulieres a celuy la, car si je fais cette
puissante affaire, je conteray totalement sur votre bonté et amitie
pour les détails de la manutention de cela, car comme cest une chose
dèlicate qu'un dèfbut en paÿs ètranger et de religion diffèrente, que je ny
aye paru, je me garderois bien d'y faire paroitre aucune sorte d'agen1-2 caractères écriture
adieu mon cher saconay, le desir dun coté et lembarras de l'autre
me combattent terriblement, il me seroit bien doux de venir au dessus
de pareille entreprise et plus doux que ce fut par le moyen de mon
amy, adieu je vous embrasse de tout mon coeur
on ne s5-6 caractères dommagen du prétendant en france. Mirabeau