Transcription

Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, 29 octobre 1760

à Paris le 29. 8bre 1760

J'ai reçu, Monsieur, la lettre que vous mavés fait
lhonneur de m'écrire, en date du 18 ducourant. elle
m'est arrivée dans les tems où je sortois d'une
incommodité assés forte qui m'a tenue dans un long régime
et qui a abouti à la deffense de me tenir longtems courbé
sur un bureau, ce qui m'oblige à dicter mes lettres.

Il y alongtems que j'ai remis au Sr humblot l'exemplaire
de mon dernier ouvrage qui étoit destiné pour être
offert à la société et dans lequel est inséré le memoire
que je pris la liberté de lui offrir. Des deux autres
morceaux qui composent ce volume, l'un est purement
relatif à un vice intérieur et administration dans
ma patrie, et je n'en ai même pas pu faire un traité
et un chapitre choisi dans un ouvrage que je réfutois.
Cependant je n'ai pas négligé d'y jetter autant que
le sujet me l'a permis de ces principes oeconomiques qui
font base dans cette science et sur lesquels j'ai rentrepris
de faire une révolution très nécessaire dans les esprits.
Je vous serai bien obligé, Monsieur, de vouloir bien
arrêter l'attention de Messieurs vos confreres sur ces
<1v> principes, je suis certain que cette fameuse mat. digérée
reçue par d'aussi bons esprits, y causera le ferment
préparatoire des idées que vous sentés devoir être 
présentées chez vous avec ménagement et avec fruit.

Quant au 1er de ces deux points, j'ai souri delheureuse
simplicité avec laquelle vous me dites que les gouvernemens
aristocratiques sont peutetre moins faits pour les verités fortes et directes que les
monarchiques. Je sens bien ce que ce principe a de vérité
en supposant que les admonitions voulussent s'attacher
aux abus de détail et qui interressent certains administrateurs
plutôt que l'administration, mais quant à ce qui est des abus
généraux et qui n'ont pas de patron designé, il seroit
difficile de dementir lhistoire et les exemples de tous les
tems qui démontrent qu'autant la Republique bien ordonnée
penche vers l'abus de la liberté, autant la monarchie
avouée et absolue est voisine du contraire. La sorte de
liberté vraiment rare et singuliere que j'ai affichée tient
à des circonstances de détail. Je me croiois sur de l'incognito
dans mon 1er ouvrage, je fus deviné et applaudi à l'instant
et si fort que je crus voir en cela une designation de
la providence qui m'appelloit à continuer. J'ai taché
de n'avoir d'objet que le bien public; ma manière
personnelle et le titre avoué de mon ouvrage, 1 mot écriture servir
de manteau aux hardies continuations, et le succès a justiffié
ma conduite; mais ce succès a tenu aux variations et
embarras des circonstances qui ont toutes à le miser à
profit, au caractere de l'auteur, qui dans un siecle et
un pays où tout est cupidité en tous genre, me demande
<2r> rien et renonce à tout. Ce succès tient encore à son état
à son bonheur, à ses intentions, et ne peut servir de regle
pour juger de ce qui reussiroit à d'autres. Quoi qu'il en
soit les frais en sont faits et je n'en attendi qu une
récompense, mais que je poursuivrai toujours avec une
égale chaleur, c'est de voir mes principes prendre carcine
dans les têtes, et leurs conséquences tourner au bonheur de
l'humanité.

Ceci nous mene à parler du fruit, le second des
deux articles cidessus. à cet égard, je ne scaurois trop
vous recommander la lecture répétée et j'ose dire létude
du 3e morceau de ce dernier recueil, qui est intitulé
Tableau oeconomique. Vous y verrés que le tableau n'est
pas de moi, et que je n'ai fait que le déveloper, ou pour
mieux dire, que aider au dévelopement; mais ce morceau
comprend tout et répond à tout. Ceci est ni à la première
ni à la 2e lecture qu'un bon esprit en sentira toute
l'étendue; mais plus il y reviendra, plus il trouvera dans
sa propre tête de lumieres et de notions etouffées par les
prejugés entassés, notions simples et naturelles que ce tissu
de principes précis et sommaires aura mises en mouvement.
J'ose vous assurer, monsieur, que rien ne sera plus utile
à vos vues patriotiques que de designer ce morceau et d'en
rencommander la lecture à vos bons esprits. Il fera à lui
tout seul un progrès lent assuré et préparatoire de la 
révolution que vous attendés autant que je la désire.


Tout en sortant de maladie, il m'a fallu travailler à
<3v>  un ouvrage dont les circonstances ont décidé le moment, que
je méditois il y a longtems, mais que je voulois rendre
digne de son importance et de mon idée. au lieu de
cela j'ai été forcé de le hater. Il est fini, chose qu'on
ne pourroit croire, si l'on savoit le peu detems que j'y ai
mis, et je n'ai plus que les embarras de lédition, article
sur lequel je suis bien soulagé. Ce sera la fin de ma
carrière publique. Je ne refuserai pas cependant de3-4 lettres biffure
1 mot recouvrementtravailler quecome vous avés la bonté de me le demander d'assés
pr votre société. La multitude d'objets que mon zele en
le genre embrasse, jointe à l'importance de la chose, et à
l'entassement naturel de mes idées, en fera sans doute
un ouvrage, et je le sens si bien que je differe de le
commencer, jusques au tems où je serai plus libre. Il n'y
aura cependant rien de perdu, pourvu que le tableau
oeconomique
soit commuté et étudié dans votre capitale.
C'est là le précurseur que j'ose vous recommander, et qui
certainement concourra à vos vües. Recevés Monsieur
les assurances de la reconnoissance et de l'estime
avec laquelle j'ai l'honneur d'etre votre très
humble et très obeissant serviteur. 

Mirabeau

Note

  Public

Ecriture tierce. Seule la signature est autographe.

Etendue
intégrale
Citer comme
Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Paris, 29 octobre 1760, Collection privée. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: https://lumieres.unil.ch/fiches/trans/1428/, version du 09.01.2025.
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