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Lettre à John Locke, Berlin, 26 juillet 1704
A Berlin ce 26 Juillet 1704.
Monsieur
Quoi que la méprise où le Gazetier de Hollande m'avoit jetté, ou plutôt plusieurs
personnes au rapport de qui je m'êtois fié, & qui avoient pris pour vous un Anglois d'un
nom fort approchant du vôtre; quoi que cette méprise, dis je, m'aît causé une véritable
douleur, jusques à ce que je fûs détrompé, je ne laisse pas d'être bien aise d'avoir
pris d'abord l'alarme, avant que de m'être exactement informé d'une nouvelle que je
croiois véritable parce que je craignois fort qu'elle ne le fût. J'ai éprouvé par là
un plaisir semblable à celui des personnes qui recouvrent un bien qu'elles s'imaginoient
avoir perdu; & j'ai eû de plus occasion de vous témoigner les justes sentimens que
j'ai pour vous, tant à cause de ce mérite distingué auquel tous les honnêtes gens
ne sauroient refuser leur estime, qu'à cause des grandes honnêtetez dont je vous
suis redevable, & qui, outre leur valeur propre, tirent un prix infini de la personne
de qui elles partent. Vous me fournissez, Monsieur, un nouveau sujet d'obligation,
en me donnant un avis également digne de vous, & convenable aux gens comme
moi, qui sachant bien quàm sibi sit curta supellex, ne doivent hazarder leurs
pensées qu'avec la dernière circonspection, sur tout lors qu'elles tendent à contredire
celles de quelque Savant, à qui ils ne voudroient en aucune maniére se comparer.
Je suis doublement fâché de la perte d'une Lettre que Mr Coste m'écrivoit, depuis
que j'ai appris que vous m'y donniez quelque autres avis sur mon travail. Comme
l'impression de cet Ouvrage ne se commencera pas de cette année, je suis encore
à tems de les recevoir & d'en profiter, si vôtre commodité vous permet de me
faire encore cette faveur. Je souhaitte, Monsieur, que vôtre santé se réta=
blisse entièrement, & que vous viviez encore Nestoreos annos. Je suis
avec un profond respect
Monsieur
Votre très humble &
très obéïssant 1 mot biffure
serviteur
Barbeyrac