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« Sur la sensibilité de mécontentement, par J.-B. Vernède », in Mémoires lus à Lausanne dans une Société de gens de Lettres, Lausanne, [06 août 1780], p. 200-202
<200> Considerations
sur les inconvéniens & les remedes
de la sensibilité de mécontentement.
De Monsieur Vernède
On a proposé à la Société cette question as=
sez étrange: Si ce que l’on appelle le sentiment,
n’est pas une maladie de l’ame, qui l’affoiblit &
l’enerve? Je pose en fait que non. C’est le pro=
pre de l’ame de sentir non moins que de penser.
On auroit dû substituer au terme vague de
sentiment, celui de sensibilité; cette disposition
à être touchés, qui nous rend susceptibles de sen=
timent.
Il auroit été utile de considérer la sensibilité
sous une face plus particuliere, comme cette dis=
position tendre & délicate de l’ame qui la rend
facile à être connue & touchée; & de rechercher jus=
qu’à quel point la sensibilité peut être portée &
rester naturelle & louable; & quand elle commence
à être excessive, & à devenir par conséquent vicieu=
se.
Il seroit bon d’aprofondir les sujets de mora=
le en entrant dans des détails trop souvent né=
gligés.
Je me borne ici à tracer, les inconvéniens de la
sensibilité, dans les cas où elle donne chez les uns
dans l’excès parce qu’elle se trouve chez les autres
en défaut, & à en indiquer les remedes.
Je m’adresse d’abord aux personnes qui sont trop
sensibles, & ensuite à celle qui ne le sont pas as=
sez.
<201> Il est bien difficile & bien rare, de garder dans les cho=
ses de la vie, un juste milieu, surtout en egard à
la sensibilité.
En me déclarant en faveur des gens trop sensibles,
je leur indique les inconvéniens de la trop grande
sensibilité;
1° Elle rend injuste
2° Elle rend Emportun
3° Elle fait que l’on est moins aimé
4° Elle excite le mécontentement
5° Elle attere l’humeur
6° Elle s’exhale en reproches fâcheux
7° Elle rallentit le génie
8° Elle altere la santé du corps, & la tranquillité de
l’ame
9° Elle rend moins propre à l’acquit des devoirs
Je conseille aux gens trop sensibles, avant de con=
tracter des engagemens de cœur, de rechercher des
personnes à leur unisson, exemptes d’occupations for=
tes, de passions violentes, de goûts trop vifs. Je
leur conseille encore après que les engagements
de cœur seront contractés, de travailler à renfer=
mer leur sensibilité dans de justes bornes, de re=
tenir leurs plaintes, ou de les exprimer avec dou=
ceur, de sacrifier autant que cela convient les
discussions d’intérêt.
On presse ce motif, que quiconque retiendra
sa sensibilité en fait d’attachement de cause, s’en
rendra d’autant mieux maitre dans les autres
cas.
II. Eloge de la sensibilité & des gens sensibles;
En égard au cœur;
En égard à l’esprit.
Cet éloge est confirmé par Mr Servan dans son
Discours sur les Mœurs, Lyon 1774. Pe 11, 31, 48. Conseils
<202> Conseils aux gens trop peu sensibles;
Rompre, ou avouer ses torts & travailler à se coriger.