Transcription

Société littéraire de Lausanne, « Sur le point d’honneur ou le duel comme préjugé, par le comte de Finckenstein », in Mémoires lus à Lausanne dans une Société de gens de Lettres, Lausanne, [12 avril 1772], p. 40-42

<40> Le Point d’honneur ou le Duël
est il un Préjugé.
Par Monsieur le Comte de Finckenstein

Le doute sur ce qui pouvait faire envisager le Duel comme
un Préjugé et cela presque generalement de tout le Monde, Ou
s’il était un préjugé de le regarder comme tel, me porta à
faire un examen dans lequel il me parut interessant que
par rapport à l’honneur, un point qui importait au
Maintien, à la tranquilité, et à l’acroissement de la
societé, l’on se conduisit la plûpart par préjugés, que ce
soit du côté de ceux qui condamnent le Duel, ou de ceux qui
l’approuvent. J’ay commencé par me fixer l’idée du point
d’honneur, et ce que l’on doit entendre par Düel; Que je
ne pûs me decider d’admettre comme provenant d’un
sentiment aussi vil qu’est la vengeance; Car quoi que
le Duel soit ordinairement precedé d’indignation et de
colère, il ne doit pas en être la suite; Dont on se
convaincra aisement, en se remettant la manière avec
laquelle on procedait anciennement aux Duels, et parce
que des parens, et des amis se prétaient également à
cet usage. D’Après cela l’on ne Scaurait avancer que le
Duel est un moïen de conserver et de défendre l’honneur
comme une proprieté: D’Abord il serait étrange, que
pour conserver une qualité si intellectuelle et si élevée
qu’est l’honneur, les hommes se fussent avisés de se fonder
sur un droit animal de mordre, déchirer et d’écarter ce
qui tend à nous nuire. Car d’où viendrait autrement le
droit de s’entre égorger si c’était là le but du Duel, et dans
ce cas l’assassinat et la Violence seraient des moyens
beaucoup plus raisonnables. Encore l’on ne peut mettre le
gouvernment en defaut sur ce point; Car c’est bien lui qui
pour attirer les affaires d’honneur à son ressort, les a
voulus faire regarder comme une attaque à nôtre Proprieté. Quel
<41> Quel est donc le motif qui a donné occasion à cet usage
singulier? Qu’est ce que le droit d’honneur? Un sentiment délicat sur la
probité et le Courage; Qui porte à cette inquiétude, sur ce que peut
être l’opinion qu’ont de nous les autres hommes à cet égard. Et
quelle pourroit être la manière la plus efficace, de convaincre la
societé que l’on possède une vertu, que de leur montrer une
exemple. Heureuse la societé  dans laquelle celui qui a fait
soupçonner de lui le manque de probité et de Courage, n’y peut vivre
sans être exposé à des desagremens continuels; Mais qu’elles
doivent être les souffrances du vrai homme d’honneur, quand
il sait sa reputation flétrie dans l’esprit des hommes. Il faut
un remède prompte, semblable à la promptitude avec laquelle
les opinions bonnes ou mauvaises se répandent, et ce n’est
sûrement pas du cours lent de la justice que l’on doit
l’attendre. Aussi l’on ne fut pas embarassé dans un siecle
où tout homme d’honneur et de naissance, passait sa vie dans
les exercices militaires, qui le mettaient à tous moment aux
prises avec le mal. L’on suposait, avec raison, que celui
qui d’un courage mâle regardait presque Journellement
la mort, même souvent la mort la plus douloureuse, sans
effroy, qu’un homme qui sacrifiait les douceurs de la Vie
au seul desir de la gloire, ne devait pas être supposé
capable d’aucune action lâche. Il suffisait donc de s’enga=
ger dans un combat qui fit preuve de courage et d’adresse
en même tems, pour témoigner que l’on s’était occupé cons=
tament des exercices Nobles. Et cette dernière consideration
est d’autant plus vraye, que pour satisfaire simplement
au courage un combat à la tête de plusieurs troupes aurait
fait également l’affaire. Que le combat entre deux
hommes et le plus dangereux, qu’il expose plus précisement
le merite en question, à la comparaison entre les deux
partis, peut avoir été la raison de l’établissement du Duel
entre hommes. Peut être que l’usage du Duel déjà étably dans
les autres affaires de Justice civile y ait donné lieu; avec la
difference, que dans les premieres causes, c’était les juges qui décidaient d'après
<42> d’après le succès, parce que c’était à eux à se charger de l’Execu=
tion; Et que dans ce cas ci, comme il ne s’agit que de l’opinion
des particuliers, il suffit du témoignage de quelques personnes
qui y avaient assisté. L’On exigeait aussi des preuves de probité,
et c’est ce qui doit être jugé comme le fondement de ces règles
d’honnetés entre les combattans. Ainsi il me parait que l’usage du
Duel peut être regardé, comme un monument le moins barbare,
du tems Barbare.

Les mœurs, les coutumes; les opinions ont changé, les Vertus
sociales ont pris le dessus. Un esprit cultivé, et l’élevation du
sentiment ont l’honneur à leur suite. Les exercices du Corps ne
sont extimés, qu’auttant qu’ils contribuent à son dégourdissement
et sa santé, Pendant qu’autres fois ils feraient presque l’unique
occupation d’un homme qui visait à la considération du Public;
Et cependant l’on juge encore actuellement du mérite d’après
des oppinions des principes qu’on n’a plus: Voilà le ridicule et
le préjugé; voilà ce qui rebute dans cet usage tout homme
sensé. Et comment l’on n’ose l’abolir en entier? Sans doute ôter
de la societé cette délicatesse dans le respect que l’on porte aux
opinions des autres hommes, c’est un frein capital dont on delivre
le vice insolent. De là, ces hommes qui se mettent au dessus de
tout ce qu’on peut penser d’eux, rien ne leur coute. Si par
l’Origine du Duel indiquel indiqué, il était vrai qu’autrefois
l’on se maintint dans la considération, par un témoigne des
Vertus du Tems, Il me paraît que c’est à cette idée que l’on
doit s’attacher, si l’on veut reussir d’abolir un usage, un
préjugé respectable dans son origine. Et je crois qu’il importerait
autant de chercher quelque chose remplaça le Duel, et qui
fut conforme à nos mœurs, que d’afaiblir les idées de l’honeur
en établissant sa défense sur les droits de proprieté tirés de l’état.
De Nature, et soumettant à des sentimens Politiques, de plier sous
la règle et l’Ordre, un sentiment comme l’honneur, dont chacun
croit devoir s’aplaudir, qui ne souffre point de degrés, et que
lui même devrait faire la regle.

Etendue
intégrale
Citer comme
Société littéraire de Lausanne, « Sur le point d’honneur ou le duel comme préjugé, par le comte de Finckenstein », in Mémoires lus à Lausanne dans une Société de gens de Lettres, Lausanne, [12 avril 1772], p. 40-42, cote BCUL, IS 1989 VII/4. Selon la transcription établie par Damiano Bardelli pour Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: https://lumieres.unil.ch/fiches/trans/1388/, version du 08.02.2024.
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