Transcription

Société littéraire de Lausanne, « Sur la définition et la nature du beau », in Journal littéraire, Lausanne, 09 mars 1783, p. 145-146

<145> Assemblée du 9me Mars 1783:

Presidée par Monsieur Verdeil, ont assisté Messieurs
Gillÿs, Levade, Le Juge De Saussure, Besson, Ritcky,
Roget & Hopp. De Morrens secret.

Question du jour. Quel est la définition & la Nature du Bau?

Mr Roget Nous a rendu avec une lumineuse présision
les differents Sistemes dés Savants sur l’origine du Bau
Hutchenson entent par ce mot ce qui est fait pour être saisi
par le sens interne du Bau, facultée qui nous sert a distinguer
les belles choses, comme le sens de la vüe est une facultée au
moien de laquelle nous apperresevons laes notions dés Couleurs & dés
figures, il établit un sixieme sens. Il distingue un Bau absolu
ou Essentiel & un Bau Rélatif qui admet dés Comparaisons, sa perfec=
tion consiste dans la representation parfaitte de son modelle
& il observe que lés Copies dont lés Objets sont baux plaisent
infiniment plus. On ne voit pas disent lés Sectateurs de ce
sistème comment lés Objets pourroient être appellés Baux s’il
n’y avoit pas un Esprit doué du Sens de la Bautée pour leur
rendre hommage.

Ils n’entendent par le Bau absolu que celui qu’on reconnoit
en quelques Objets sans lés comparer à aucune chose extérieure
dont ses Objets soient l’Imitation ou la Pinture.

Pour decouvrir l’occasion generale des idées du Bau parmy lés
hommes, Hutchenson examine lés Etats lés plus simples, par Exemple
lés figures, & il trouve qu’entre lés figures, celles que nous nommons
Belles, offrent à nos sens l’uniformité dans la varieté. Il assure
qu’un Triangle équilateral & moins bau qu’un quaré. Le Sisteme
de se Philosophe dont je n’indique icy que la Baze a paru plus
singulier que vray.

<145v> Le Pere André dans son Essay sur le Bau, l’envisage dans ses
differentes Espèces, il lés déffinit touttes, mais on ne trouve la déffinition
du Bau en general dans aucune page de son livre, il le par=
tage en quatre Chapittres. Le 1er traitte du Bau visible, le 2e du
Bau dans lés Mœurs, le troisieme du Bau dans lés Ouvrages
d’Esprit & le 4me du Bau Musical, il pretent qu’on decouvre
dans chacun de sés Objets, un Bau Essentiel, indepandant
de toutte institution, même divine. Un Bau Naturel, dépandant
de l’institution du Créateur, mais indepandant de nos Oppinions &
de nos Gouts, Un Bau Artificiel & en quelque sorte arbitraire
le Bau Essentiel consiste suivant luy dans la regularité, l’ordre
la Simetrie en géneral, le Bau Essentiel Naturel, dans lés
proportions observées dans lés Etres de la Nature, le Bau
Artificiel reunit lés mêmes avantages observés dans nos produc=
tions Mechaniques, nos Batiments & nos Jardins.

Mr Dïdderot établit la déffinition du Bau d’après la Marche
de l’entendement humain, le premier pas de la faculté de
penser, c’est d’examiner sés perceptions, de lés unir, de lés comparer
d’appercevoir entr’elles dés Raports de convenance ou de disconvenance
Nous naissons avec dés besoins qui nous forcent à recourir a differens
éxpediens, entre lésquels nous avons souvent ettés convincus
par l’effet que nous en attendions, & par celuy qu’ils produisoient
qu’il y en a de bons, de mauvais, de promp, de court, de
complet & d’incomplet, Voilà donc nos besoins & l’exercice le
plus immediat de nos facultées qui conspirent aussitôt que
nous naissons à nous donner des Idées d’ordre, d’arrangement,
de Symetrie, de Méchanisme, & de proportion, touttes sés
idées viennent dés sens & sont factices & nous avons passés
de la notion d’une multitude d’Etres Artificiels & Naturels arrangés
<146> proportionéz, combinés à la notion positive & abstraite d’ordre,
d’arrangement, & de Combinaison, de raport, de Symetrie, & à la
Notion abstraite & negative de disproportion, de desordre & de
Cahos. Environnés d’Etres où lés memes Notions étoient pour
ainsy dire repetées à l’infini, nous ne pumes faire un pas dans
l’Univers sans que quelques productions ne lés reveillat. Mais entre
lés qualites communes à tout lés Etres que nous apellons Baux, la=
quelle choisirons nous pour la Chose dont le terme est le Signe.
ce sera celle par qui la Bautée commence, augmente, varie à l’in=
fini, décline & disparoit, or il n’y a que la notion de Raport
capable de sés Effets. J’apelle donc Bau hors de moy nous dit cet
Accadémitien tout ce qui contient en soy de quoi reveillier dans
mon Entendement l’idée de raport, & Bau par raport à moy
tout ce qui reveille cette Idée. J’en excepte ses qualitees rélatives
au Gout & à l’odorat, quoique sés qualitees puissent reveillier
en nous l’idée de Raport, on n’apelle point baux lés objets en
qui elles resident. On ne dit pas un bau mets, une belle Odeur.

Mr De Marmontel dans lés Observations qu’il a faittes sur le
Bau, pose pour princippe, que la Nature & l’art ont trois
manieres de nous affecter vivement, ou par la Pensée,
ou par le Sentiment, ou par la seule émotion dés Organes
il doit donc y avoir aussy 3 Especes de Bau dans la Nature &
dans lés Ars, le Bau Intéléctuéll, le Bau Moral, le Bau
Materiel ou Sensible. La Manière dont il établit ses preuves
lés Exemples dont il lés appuie soutient merittent d’etre lus
en entier, un Extrait ne peut que lés affoiblir, ou passer de
baucoup sés Bornes.

Mr Verdeil addopte lés Idées & la definition de Mr Didderot.

Mr Gillis est ettonné que Mr Didderot soit aussi peu d’accort
avec le Philosophe Anglois, la déffinition du premier s’apliqueroit
equalement au Sublime ou Burlesque, il trouve que la Bautée
étant une idée Simple, n’admet point de Définition.

Etendue
intégrale
Citer comme
Société littéraire de Lausanne, « Sur la définition et la nature du beau », in Journal littéraire, Lausanne, 09 mars 1783, p. 145-146, cote BCUL, Fonds Constant II/35/2. Selon la transcription établie par Damiano Bardelli pour Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: http://lumieres.unil.ch/fiches/trans/1371/, version du 23.02.2024.
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