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« Achats pour la salle de la Société / Sur le XVIe siècle », in Journal littéraire, Lausanne, 02 février 1783, p. 139v-140v
Assemblée de 2d Fevrier 1783
President Monsr de Saussure de Morrens.
Ont assistés Messieurs Levade, Vernede, Verdeill,
Gillies, le Juge Saussure, Secretan, Ritchie
Secretaire du Jour, Roget, Hope, Gély invitez.
Le President a observé qu’il y avoit une
Lettre de Monsr Dyverdun à la Societé, qui etoit
restée sans reponse, qui avoit pour objet d’ouvrir
une souscription entre les membres de la Societé
pour faire quatres bustes destinés à orner
notre salle d’Assemblée: sur quoi on a prié una=
nimement Docteur Verdeill de dire à Monsr
Dyverdun qu’il eût la Complaisance de faire
courir sa souscription, & que la souscription
rempli, il seroit decïdé, à la pluralité des voix
du choix des bustes.
La Question du jour etoit, D’où vient
le seizieme Siecle, a-t-il produit plus de grands
hommes en tout genre qu’aucun autre?
Monsr Levade doute si le seizieme Siecle a produit
plus de grands hommes qu’aucun autre. Il avoue
pourtant que le seizieme Siecle fournissoit les
idées qui etoient developpées dans le dixseptieme.
Mais pour les Causes qui ont produit ces
grands hommes, c’est une chose dont la Re=
cherche demande du loisir, & il veut que quelque
<140> membre ecrivît sur ce sujet, & l’approfondit.
Monsr le Juge Saussure est du meme avis que
Monsr Levade, sur la difficulté & l’importance
de la Question. Il dit que dans le seizieme siecle
il y avoit une fermentation dans les esprits qui
produisoit de grands hommes non seulement dans
la Theologie, mais dans toutes les Sciences. Pour
trouver les Causes de cette fermentation demande
beaucoup de recherche, & le Juge souhaite que
l’examen de cette question soit renvoyé à un
autre jour.
Monsr Vernede pense comme le Juge.
Dr Gillies en considerant les quatres siecles de
la literature, c’est à dire, les siecles d’Alexandre,
d’Auguste, des Medicis, & de Louis Quatorze,
soutient que le seizieme siecle n’a pas autant a=
bondé en grands hommes que les Siecles d’Alexandre
& d’Auguste; mais qu’il c’est distingué dans les
Modernes par un nombre d’hommes celebres
dans tous les genres, plus même que dans le siecle
de Louis 14. Si on parcourt l’histoire de ce siecle
on y trouvera de plus grands poetes, de plus habiles
peintres, de Theologiens & de Philosophes plus
profonds que ceux qui ont parus depuis. Il en
donne trois Raisons. 1mo La prise de Constantino=
ple par les Turcs qui en chasserent les gens de Lettres.
Ceux ci encouragés par les Medicis se retirerent
en Italie, & par leurs examples y produisirent une
Emulation qui devint une germe fertile de grands
hommes par toute L’Europe. 2do L’application
de la Boussole à la Navigation, par laquelle les
Indes furent decouvertes, ce qui ouvroit des vues
vastes, & donnoit de la force nouvelle à l’esprit
humain. 3° L’invention des Telescopes & leurs
application à l’Astronomie. À ces trois Causes
il ajoutoit l’invention de l’imprimerie. Il dit
qu’il ne s’etoit pas appliqué particulierement
à l’étude de cette Question, mais qu’au premier
coup d’œil ces Causes l’avoient frappé comme
pouvant avoir eu beaucoup d’influence à produire
<140v> le grand nombre d’hommes celebres qui ont ornés
le seizieme siecle.
Dr Verdeil se trouve d’accord avec Mr Gillies dans
l’eloge qu’il donne du seizieme siecle. Il nomme
plusieurs hommes tres celebres qui fleurissoient dans
ce temps là, Camoëns en Portugal, Lopez de Vega
en Espagne, Raphael, Angelo, Carpaccio, Tasso &c en
Italie, Luther Melanchthon &c en Allemagne, Shakes=
peare & Bacon en Angleterre. Il reconnoit L’impor=
tance de la Question, il regrette de n’avoir pas eu
assez de loisir pour l’examiner comme elle le merite,
& veut qu’on en renvoye l’examen. En attendant, il
ajoute aux causes données par Dr Gillies, d’autres
qu’il croit avoir influé sur la production de grands
hommes. 1mo Les controverses religieuses electrisoient,
pour ainsi dire, les esprits. L’habitude de chercher la
verité dans la Religion se communiquoit aux sciences,
& les Philosophes se delivrant de l’esclavage de l’o=
pinion montroient une hardiesse, & avoient un suc=
ces dans leur recherches qui font l’admiration de
siecles suivants. 2do Les princes de ce siecle favori=
soient beaucoup, & protegeoient les gens de lettres.
Les Medicis, François premier, Charles Quint
se croyoient honorés par la societes des savants,
& la protection des princes donne une Emulation
favorable toujours aux sciences. Du reste il y
avoit dans le seizieme siecle une certaine apti=
tude d’esprit de saisir des idées, une certaine dispo=
sition naturelle pour la recherche produite peut être
par des Causes physiques jusques ici inconnues, &
qui, il est à craindre, seront inconnues à jamais.
Monsr le President approuve tout ce qu’on a dit,
& veut aussi que la question soit resumée dans
une autre occasion.