Transcription

Société littéraire de Lausanne, « Achats pour la salle de la Société / Sur la peine de mort », in Journal littéraire, Lausanne, 29 décembre 1782, p. 126-128

<126> Assemblée du 29 Decemb. 82.

President Monsr Le Docteur Gillies. Messrs Besson,
Polier, De Morrens, Vernede, Verdeil, Bridel, Secretan,
De Saussure Juge, Sogologorsky, Prince Galitsine,
Gely, Sayer, Levade Secretaire du jour.

L’assemblée a daigné s’occuper de l’emploi qu’on ferait
de la contribution qui fournissent les récipiendaires
d
e la Societé, et il a eté décidé à la pluralité (non
sans des debats tres piquans), qu’on se procurerait un
écritoire, du papier, de l’encre, et des plumes, quelqu’ap=
parence de luxe que ces superfluités pussent offrir
aux yeux severes de quelques membres; on a meme
authorisé une poulie pour faire tomber la porte
d’entrée, des ecrans pour les yeux faibles, et des
cartes geographiques de la Suisse pour les curieux
ainsi quoi qu’on ait osé plaisanter sur ce que les
muses helvetienes se cantonaient à l’hopital, on
poura fermer la bouche à de mauvais plaisan
s, en
exposant à leurs yeux ces differens objets de raffi=
nement, et de luxe.
Quelques membres (élevés sans
doutte dans des monarchies), eussent desiré un coussin
n’eut il eté que de bourre, pour relever le Président sur
son siege, mais on a craint les conséquences, et sans
oser rappeler les motifs qui porterent les Romains
à ne pas permettre que Publicola occupat une maison
comode sur le haut d’une colline qui dominait la ville,
on a fait valoir la raison du primus inter pares,
et l’avis du coussin presidial a eté rejetté. Ainsi
nul fauteuil academique, ou soporifique, nulle
invitation physique au someil n’aura lieu dans la
societé.

Monsieur le Docteur Verdeil a ouvert la seance selon
l’usage par la lecture de ce qui s’était passé dans
la précédente societé; et la surprise que plusieurs
membres ont temoigné de la quantité de bonnes
choses dont on ne se douttait pas, qui se rencontraient
dans son éxtrait, cette surprise a eté d’un éloge
flatteur de l’habileté du Secretaire.

La quéstion de jurisprudence criminelle dont on
s’etait ocupé dans la précédente societé a eté remise
sur le tapis, Monsieur Le Juge de Saussure qui n’avait
pu se rencontrer à la Societé précédente nous a lu
un essai sur la question, dont nous n'avons blamé que
la trop grande brieveté. Voici l’extrait fidele de
ses idées sur ce sujet.

Tournés la pagefeuille.

<127> Monsieur Verdeil en adoptant les idées de
Monsieur le Juge, desirerait que les Legislateurs
determinassent d’apres le caractere de la nation
l
e genre des chatimens à substituer à la
peine de mort. Il desirerait aussi plus de
raprochement entre le suplice et l
a délitpeine.

Monsr Vernede animé des memes sentimens
d’humanité, qui lui dissimulent la difficulté
des reformes, sollicite Monsr Le Juge a etendre les
idées, et à les publier par la voye de l’impression.

Monsr Le Doct. Secretan, croit qu’on peut déduire
du contrat social la légitimité de la peine de
mort, il la croit non seulemn legitime, mais
nécessaire, il ne croirait pas sa vie en sureté
si ce frein etait enlevé. Il a fait quelques objec=
tions sur le discours de Monsr Le Juge, auxquelles
celui ci a repondu à son tour.

Monsr De Morrens raproché dans ses idées de l’opi=
nion de Monsr Verdeil à quelques egards, pen=
che cependant à croire la peine de mort utile
come imprimant plus de crainte que la peine
de la captivité.

Monsr Polier toujours sensible et humain, s’etonne
de ce que le contrat social en lui refusant le
droit de peine de mort, peut avoir celui bien
plus dangereuxcruel de tourmenter longtemps par
la misere, la captivité, les coups, et autres
mauvais traittemens.

Mr Sogologorsky, sans decider la question, opine
à ce que les Legislateurs, ou les Princes se
conforment le der dans le choix, et le degré des
peines à l’esprit, et aux circonstances de la
nation qu’ils ont à gouverner.

Mr Le Juge apres avoir repondu aux objections de Monsr
Secretan, s’est expliqué sur la Loix du Talion qu’il croit
injuste, et qu’on prouve aisement etre telle.

Monsr Bridel croit voir plus de cruauté dans la loix
de substitution de la captivité à la peine de mort. Il
cite un passage de Sénèque, où la mort est representée
non come peine, mais come fin de peine.

Monsr Levade abhore la peine de mort dans tant de cas
plus graves où on la juge convenable. Mais convaincu
que les abus se glissent dans les moyens qu’on employe
pour remedier aux maux de la societé, il préfere encore
l’abus qu’on fait du rang des homes
<127v> à celui que des subalternes sans entrailles feraient
de leur authorité sur les malheureux privés de
liberté. Il croit plus humain de prodiguer le sang
une fois, que les coups, et les mauvais traittemens
pendant de longues années. Les superieurs ne peuvent
descendre dans tous les details du la vi regime du
malheur des captifs souvent eloignes de la capitale
d’où sort leur sentence, ils determineront avec
equité la nature, et le degre de leur misere. Mais
il depend d’un geolier de detruire à sa volonté
toute proportion; le scelerat complaisant, et bas
scaura captiver sa bienveillance, tandis que sa
mauvaise humeur, ses passions, sa cruauté pouront
s’exercer sur un captif moins rampant. Non
Messieurs si des passions indomptées, si une educa=
tion negligée, si des circonstances funestes m’eussent
conduit aux pieds des L de la justice pour quelque
crime digne de mort, je demanderai grace au
Juge qui sous prétexte d’humanité, ne me condamn=
erait qu’à une captivité perpetuelle au milieu
de cent malfaitteurs, plus ou moins coupables que
moi. Je lui demanderais la mort, parce que cette
peine m’est connue, que le genre m’en est connu.
Mais je frémirais de me voir éloigner des
regards d’un Juge équitable, renfermé sous le
despotisme arbitraire d’un prevot, d’un comat, d’un
geolier, espece d’homes qui devienent par etat
plus mechans que ceux qu’ils contienent.

Monsieur le President Gillies, croit que le contrat
social n’est qu’une vision, un mot inconu dans
les langues de divers pays civilisés. Il croit que
la peine de mort est souvent necessaire, et utile,
quoiqu’ainsi que le serment, elle croit souvent
mal adjugée on en abuse quelques fois. Il est des
crimes dont nous ne pouvons nous empecher de
dire que l’autheur merite mille morts, qui n’eut
permis de meme, et n’eut signé l’arret de mort
des conjurés pour la conspiration des poudres.
Si cette peine peut etre envisagée come juste, il est
<128> par cela meme asses probable qu’elle doit etre utile.
Le grand froid qui genait l’usage des articulations de
la main droitte du secretaire, l’obligeant de s’aprocher
du feu, il ne put pas recueillir en plus grande
quantité les differentes idées sur ce sujet.

Etendue
intégrale
Citer comme
Société littéraire de Lausanne, « Achats pour la salle de la Société / Sur la peine de mort », in Journal littéraire, Lausanne, 29 décembre 1782, p. 126-128, cote BCUL, Fonds Constant II/35/2. Selon la transcription établie par Damiano Bardelli pour Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: http://lumieres.unil.ch/fiches/trans/1362/, version du 21.02.2024.
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