Transcription

Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Le Bignon, 16 février 1748

du buignon ce 16e fèvrier 1748

je vous ay la plus sensible obligation mon cher saconay de la
vivacité et exactitude avec laquelle vous avès bien voulu faire
ma commission, je vous rends mille graces du succès qui m'a fait grand
plaisir, achevès votre ouvrage et m'envoyès ces lettres de juge et vous
serès un des plus heureux négotiateurs de l'europe. jattends mon
cher saconay, ce nouveau plaisir de vous et vous en rends davance
mille graces ainsy que du passé.

mon amy je ne scay comment est votre service a vous autres, mais
je scay que les grandes rècompenses au bout qui servent de leurre
aux naturels du paÿs, ne sont pas pour les étrangers; le lucratif
actuel doit donc tenir lieu de tout, hors tu as beau dire je n'imagine
pas demploy ordinaire qui vaille a une famille qui a des fonds le
dèplacement du chef de la case, aujourd'huy que tout est devenu si
cher, et la perte de ses soins et de son industrie sur ses fonds; dieu t'a
donné cette heureuse oeconomie, cette activité, cette connoissance enfin de
l'agriculture qui fait les hommes vrayment opulents, qui seule scait
donner le superflu; avec cela, du moins en france, et de la conduitte
un homme ardent gagnera des biens considérables, ou s'il est homme
tranquille il vivra dans l'aisance et le vray bonheur; et tu voudrois laisser
tout cela pour une compagnie, pour aller chercher un coup de fusil &c
en vèrité il me faudroit bien des explications pour me faire concevoir
cela, et je te demande de t'ètendre un peu sur cet ètonant chapitre. j'ay
<1v> compris aisèment que c'etoit une fortune pour des cadets qui n'ont d'autre dèbouché
mais toy qui es tout seul qui as une jeune femme, de petits enfants
et que veux tu que tout cela devienne? j'ay vu chex toy l'aisance et un
bon fondement pour cela; santé; plaisir, union heureuse et tu quitterois
cela pour un empire a gagner a la pointe de lèpèe, je ne le conçois pas.
je te parle en cela contre moy; car en te dépaÿsant nous nous retrou=
verions bien plutost, je te montrerois icy mes immenses travaux, tout
cela fait une perspective de plaisir, mais il n'en est point sans ton
bonheur. je fais icy dans mes prairies des ouvrages bien considèrables
y ayant 40 et cinquante hommes chaque jour, et je sens que si j'avois
la mème expèrience pour dans toutes les autres parties de l'agriculture
cette innocente et utile occupation me suffiroit. je ne puis pas lire
le nom que tu donnes aux suisses que je t'ay demandès, je lis fruitiers
et ce sont gens entendus en beurres et bestiaux a nourrir que je te
demandois et non en fruits, mande moy aussy, comment je pourrois trouver
mon affaire dans les gardes suisses, puisqu'il ny a lâ que gens engagès
et qu'il me faut gens a demeure. je te seray bien obligé de ne pas oublier
ma cette commission. puisque tu ne me dis rien de la santé de ta femme, c'est signe
qu'elle est rètablie, je luy offre mon Respect. adieu je t'embrasse de tout
mon coeur.

Etendue
intégrale
Citer comme
Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Le Bignon, 16 février 1748, Collection privée. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: https://lumieres.unil.ch/fiches/trans/136/, version du 17.06.2013.
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