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« Sur l’indolence », in Journal littéraire, Lausanne, 21 avril 1782, p. 113-116
Assemblée du 21 Avril. President Monsieur
Bugnon. Presens Mrs de Morrens, de Montolieu,
Levade, de Corcelles, Juge, Vernede Verdel,
Docteur Secretant, Secretant, Gillies.
Secretaire Polier de Loÿs.
Question. Qu’est ce que l’Indolence, Comment
en preserver les Enfans, et en corriger les
homes faits.
Mr Levade comence son mémoire
par une vive sortïe contre l’indolence.
Si l’home! s’écrie t’il, ne peut avançer
<113v> Avancer vers la perfection que par de
continuels efforts; si les sciences, la vertu,
tout ce qu’il ÿ a de beau et d’honete, ne
peut se gagner que les armes à la main
Ne doit on pas regarder come le plus
dangereux des vices de l’ame, celui qui la
laissant sans ressorts, sans passions, sans chaleur
étoufe les talens, les vertus, le genie, et qui
obstruent les mouvemens de la plus belle
machine rend l’home inutile, et par cella
meme vicieux; Mr Levade venge ensuite
du reproche d’indolence l’home contemplatif
qui insensible aux ressorts ordinaires de
l’activité humaine, devellope sa forçe et
son activité dans la recherche de la verite
et de la vertu, Accusera t’on d’indolence ces
ames de feu qui tournent leur activité par
des objets hors de la vüe du commun des Homes.
Passant au 2d point de la question, l’Auteur
propose d’emploïer l’éxemple, la persuasion
la force meme, pour preserver les Enfans
de la paresse; Si le mal tient au Phisique
emploïes le regime, et les autres secours de
la medecine; si l’indolence vient de l’ame
étudies le Naturel de l’Enfant, et presentes lui
toutes sortes d’invitations; Combien de Jeunes gens
se developant tout à coup, et come électrises
par les circonstances, ont ainsi prouves que
leur prétenduë indolence n’avoit eté que
l’effet de la maladresse de leurs Instituteurs.
3ème point de la question, l’Indolence chez les
homes faits est incorrigible lorsqu’elle est la
suite de l’habitude contractée dès l’Enfance
<114> Mais si elle est l’effet de circonstances malheureuses, come
de grandes afflictions qui plongent l’ame dans l’abatement,
peut etre des jours plus sereins lui rendront son activité.
Mr Levade desespere de l’Indolent par sisteme et
par égoisme; Cependant pour l’acquit de sa conscience
il lui propose le marïage, des Enfans, des fonds à cultiver
mais il est bien sur qu’il ne l’écoutera pas.
Le memoire qui a regulierement suivi les diferens ages
de la vïe humaine, finit par proposer une question
relative aux Viellards, scavoir, De rechercher; Quels seroient
les moÿens d’amortir l’inquietude et l’activité des Viellards
& celle au profit de la partie contemplative plus
analogue aux circonstances de cet age.
Extrait du memoire dont Mr Vernede fit la lecture
sur la question du jour. Il debute par une definition
de l’indolence «Qui (selon lui,) Est une privation de
sensibilité morale.» l’Auteur pour mieux faire sentir
cette verité trace ensuite le portrait de l’home entiere=
ment indolent, Il le montre insensible à tout, hors à
son repos qui devient l’unique but de ses foibles desirs.
L’Indolence, état Naturel de l’home sauvage, et de
beaucoup d’Animaux, pourrait aussi devenir celui d’un
home qui aÿant tout vü, tout apris, tout comparé, qui
d’ailleurs degouté du monde, n’a plus de motifs pour
chercher à conoitre ou acquerir.
Differens degres d’indolence; Il ne faut pas confondre l’home
mou, avec l’Indolent, le 1er ne soutient pas ce qu’il a
entrepris, le l’Indolent ne veut rien entreprendre, l’un manque
de courage et de fermeté, l’autre d’émulation et de
volonté. L’Auteur assigne trois causes qui conduisent insensi=
blement à l’Indolence celui qui n’étoit pas né avec ce vice
scavoir la Nonchalance qui indique un defaut d’ardeur;
rien ne l’anime s’il le nonchalent agit encore c’est molement.
La paresse qui l’engage à preferer les douceurs du repos
aux avantages du travail; la Negligeance enfin, qui renvoïe
sans cesse, laisse tout échapper, incapable de revenir sur ses
pas elle parvient à anéantir toutte activité, Ne vaudroit il
pas mieux etre exposé exposé aux troubles des passions
que de croupir ainsi dans une honteuse inértïe.
<114v> Apres ces reflections sur la nature, et les
causes de l’Indolence, Mr Vernede invite les
Membres de cette Societé, à tourner leurs recherches
de ce coté: Une fois dit il le mal bien conu
les remedes se decouvriront plus aisement.
Il invite ensuite les Scavans, les instituteurs les
Pasteurs, les Magistrats, les Souverains, à emploïer
tous les moÿens qu’ils ont entre les mains pour
detruire ce vice chez les homes faits, et le prevenir
chez les Enfans; Exciter fortement la sensibilité
Morale par tous les motifs, que les devoirs, l’honneur
les passions, l’interet enfin peuvent leur fournir.
L’Auteur termine son memoire par proposer
à cette Societé de distribuer à ses Membres, les
divers sujets dont on pourroit composer un bon
memoire sur l’Indolence, Vice si couran dans
ce Paÿs malgré la bonté du climat, et la bone
constitution des habitans.
Mr Secretant atribuë l’indolence au Phisique
le sang plus actif done plus de force aux passions
Ne presses pas trop les Enfans indolens vous
les rebuteriés: S’il existe une indolence de l’ame
elle ne peut etre ocasionée que par le manque
de but, d’objets capables d’en exciter les ressorts.
Mr Montolieu envisageant en grand les
effets de l’indolence, pense que ce vice est le
plus contraire au bonheur, et à l’existance de
ce monde que l’activité seule anime, et fait
subsister, mais il voudroit que chacun bornat son
activité à ce qu’éxige ses raports dans la societé,
l’exces de cette faculté dan est dangereuse
chez les grands. Temoin Alexandre, Cesar, et presque
tous les Conquerans, Elle est aussi tout au moins
incomode chez les particuliers quelle pousse à
se meler sans cesse des affaires des autres qu’ils
tourmentent ainsi sans etre plus heureux
eux meme, ce deffaut vient sans doute
de l’éducation qui n’a pas scu diriger une
activité naturelle qui etant mieux apliquée
<115> auroit peut etre produit de grands effets pour le bien
de la societé, Mr de Montolieu penche à croire
preferable et pour soi, et pour autrui, le sort de ce
Péruvien qui apres avoir ramassé dans un torrent assez
de pailletes d’or pour en acheter une quantité de vivres
les plaçoit autour de son lit où il restoit couché, jusques
à ce que les aÿant touttes consomées, il se voyoit à regret
forcer de recueillir encore des pailletes; afin de pouvoir
recomençer cette vïe indolente, où il trouvoit le souverain
bien.
L’Indolent selon Mr le Juge, est d’autant plus odieux dans
la Societé, qu’il prend sans cesse et ne rend jamais rien
elle en est au reste vengée par l’enui qui le poursuit sans
relache; le Sauvage lui meme est en proïe à ce cruel
fléau, ses raports sont si peu étendus, ses idées si etroites
ses besoins si bornes, qu’une fois satisfaits il tombe dans
la langueur et l’enui: Ici Mr le Juge met en oposition
cette indolence destructive avec la moderation du Philosophe.
je me garderai bien d'alterer ce tableau si éloquent en
essaïant de le bégaÿer apres lui. Quant au 2d point de
la question il abandone l’home fait à son indolence, le
peu d’esperances que l’age lui laisse le degoutera toujours
des éfforts necessaires pour surmonter une habitude invetérée
l’Education peut seule la prevenir chez les Enfans, faites
leur sentir le but de leurs études, excites leur sensibilité
surtout à l’égard de la Patrïe, penetres les de l’ambition
de meriter l’estime de leur concitoïens, que l’exemple
surtout marche avec le precepte.
Mr Verdel indique 3 causes de l’Indolence, et à
chacune ÿ joint les remede, Cause Phisique, Cause
morale, et circonstances, Quant à la 1ere il traite de
chimerique les distinctions imaginées, de tempéramens
billieux, sanguins, phlegmatique, tous ces caracteres
distinctifs sont du plus au moins meles dans les différens
individus, Cependant on voit des Enfans naturellement
Indolens, et Mr Verdel pense que l’on peut par le regime
et une nourriture peu suculente diminuer cette disposition.
Cause Morale l’Education des Colleges conduit meme à
l’indolence, la Morgue, la rigueur la Pedanterïe des
Maitres; le genre des etudes, l’ignorance de leur but, touttes ces
<115v> ces raisons contribuent à les degouter pour
toujours du travail, rendes les études agreables
en les varïant, en en faisant come Rousseau
sentir l’utilité, par l'exemple, excites ainsi
la curiosité, et l’atrait du plaisir leur fera
contracter le gout et l’habitude du travail.
3eme Cause les Circonstances Independament
de celles de l’éducation, et du Naturel, celles
de la position, de la fortune du mauvais
éxemple peuvent conduire à l’indolence,
peut etre alors que dans un bon Naturel, une
passion, l’amour, la gloire par exemple, pourront
le tirer de cette inertie de circonstances
Mr de Morrens atribue l’indolence au
temperament seul, et ne croit pas aux remedes
de l’éducation Phisique, et Morale.
Bien au contraire Mr de Montagnÿ en
acuse l’éducation seule, il en prend à temoin
l’activité, la vivacité Naturelle aux Enfans
il croit aussi qu’il faut leur doner des motifs
capables de les interesser et de les fixer.
Mr Gillies pretend qu’il n’ÿ a poin d’indolence
proprement ditte, mais qu’on peut la nomer
Activité à ne rien faire, cet état est naturel
à l’home, temoin les Sauvages, et les Asiatiques
qui se moquent d’une activité qui ne nous
mène qu’à nous remuer fortement pour
finir come eux par la mort; l’Indolence
n’est donc point un vice proprement dit
come l’Injustice, l’avarice &c, mais plutot
une absence de Vices, et de vertus; l’Activité
est absolument relative aux circonstances
où l’on se trouve dans la societé, En effet
pourquoi dans les Paÿs comercans l’activité
est elle si generale, c’est que le seul home
actif ÿ est regardé come bon Citoïen, C’est que
<116> l’or ÿ atirant plus que tout autre chose la consideration
ÿ est estimé par dessus tout et qu’on ne l’acquiert que
par le travaïl. Il faut donc tirer l’home de l'et son
état Naturel d’indolence en éxcitant ses passions, en
en leur presentant sans cesse des objets asses atraïants
pour que l’espoir de les obtenir, l’emporte dans leur
esprit sur la peine qui leur en coutera, si l’indolence
resiste chez l’Enfant à ces moÿens de sensibilité Mr
Gillies croit que la forçe et la crainte pouront ÿ
supléer en partie.
Mr du Four distingue l’indolence du corps de
l’indolence de l’ame, et propose d’éxaminer ces deux
questions separement.
Enfin Mr Bugnon pour apuÿer l’opinion que
l’indolence est naturelle à l’home fait venir ce
mot du latin (Indoles) (Naturel) sur quoi Mr de Montolieu
à remarqué qu’il venoit bien plutot d’Indolentia, inertie.
Mr Gilles le fait venir de in et doléo. Mr Bugnon
voudroit qu’on aprit à moderer, et que l’on distinguat
de la vraïe de l’utile activite, cette activité phisique
souvent affectée, et si incomode à la societé, où elle est
conue sous le nom de vivacité. Il termine son
opinion par faire le proces au Paresseux en citant
le proverbe. Yvrognerïe et paresse ne se guerissent
jamais.