Transcription

Société littéraire de Lausanne, « Sur l'émigration du peuple et des paysans vaudois », in Journal littéraire, Lausanne, 07 avril 1782, p. 112-113

Assemblée du 7e  Avril

Président Mr D'Eyverdun. Présens Messrs Bugnion,
Gillies, De Saussure, De Morrens, Bridel, Levade,
Verdeil, Assistant Mr Sayer, Secretaire Mr Secretan.

La Question sur l’Emigration a été traittée de
nouveau.

Mr Kuittner Secretaire de la dernière Assemblée nous a renvoyé
à lire son opinion sur le Journal.

Mr Bugnon n’a pas crû pouvoir rien ajouter à ce qui
avoit été dit dans les Mémoires; Il souhaiteroit que
Mr le Juge voulût mettre la dernière main à son ouvrage
il l’en prie même.

Mr Gillies ne croit pas l’Emigration aussi dangereuse qu’on
la représente. Il compare les hommes aux marchandises
qui entrent ou sortent en plus ou moins grande quantité;
c’est souvent un bonheur lorsqu’elles sortent à propos.

Après s’être excusé sur ses affaires qui ne lui ont pas
permis de s’occuper de nouveau de la Question, Mr le
Juge nous a cependant communiqué quelques nouvelles
idées sur cette matière. L’Emigration fait chez
nous des progrès sensibles; personne ne saurait le nier
avec raison. Elle n’est pas une suite nécessaire de
nos circonstances; l’abondance de la population n’oblige pas
les hommes à refluer dans les contrées étrangères; des
vices inhérents au Gouvernement ne les contraignent pas
à s’expatrier; l’Emigration est donc un mal, un mal
dangereux auquel il impose d’appliquer des remèdes
efficaces. Le plus puissant sans doute seroit
d’inspirer aux hommes l’amour de la Patrie. Le
fléau de l’Emigration etoit inconnu dans ces anciennes
Républiques où l’interet personel étoit sans cesse sacrifié
<112v> au bien général; où les citoyens étoient tous frères parce
qu’ils avoient une Mère commune qu’ils savoient aimer et
défendre; les Romains mouroient contents pour la Patrie
et nous nous ne voulouns pas seulement vivre pour elle.
Seroit-il donc impossible de rallumer ce feu dans nos
ames? N’y-auroit-il point de moyen de rendre du moins
ce Pays assés agréable à ses habitans pour leur ôter la
fantaisie de le quitter? On en a dejà indiqué un dans la
précédente Assemblée; ce sont les Fêtes Villageoises,
remède également simple et efficace.

De toutes les causes d’Emigration la plus féconde et la plus
funeste est ce qu’on a apellé la Domesticité; C’est elle
qui enlève le plus grand nombre de Jeunes Gens à leurs
foyers; pour amasser quelque bien ils sont obligés de
passer la plus grande partie de leur vie dans un
service avilissant; et s’ils revienent, ils ne rapportent qu’un
corps vieux, usé, une ame servile, incapable de sentir les
Devoirs du Citoyen et prête à fléchir sous le joug du
Despotisme. Mr De Saussure avoit proposé deux
remèdes à ce mal. Il pensoit qu’on pourroit déclarer
incapables d’Emplois ceux qui se seroient expatriés pour
exerçer ce métier et les contraindre même à payer une
finance à leur Comunauté pour la dédomager des charges
qu’elle auroit supporté pendant leur absence. On opposait
au premier de ces moyens qu’il-y-auroit de l’injustice à
flétrir des homes dont tout le crime auroit été de servir
leur semblable. Mais cette objection se trouve réponduë
par un exemple tiré de notre Republique qui exclud de
certains Emplois les Célibataires, sans cependant les flétrir.

Mr Levade s’est occupé à rechercher en détail les Causes de
l’Emigration. On quitte son Pays ou par Inquiétude; dans
ce cas il n’est point de remède; ou par Ambition; il
suffiroit de donner au Peuple le Catalogue de ceux qui ne sont
pas parvenus; la voye de l’Almanach seroit commode pour
cela ; ou par Inconduite; cette Emigration est un bien;
ou par Paresse; c’est la faute de l’Education, il faudroit la
perfectionner; ou par Séduction, celles des Enrollemens
est tolerée par le Souverain; du moins faudroit il défendre
aux Soldats qui rentrent d’aporter des Uniformes neufs.
On s’expatrie enfin par Besoin; Et c’est ici de toute
les Causes d’Emigration la plus difficile à guérir; elle nait
<113> de la pauvreté du Pays, du peu de ressources qu’il offre
et peut être d’un défaut dans le Gouvernement.

Mr Bridel demande l’abolition des Consistoires avec autant
de zèle que Caton la ruine de Carthage; si l’on diminuoit
les peines statuées contre ceux qui donnent des sujets à la
Patrie sans la permission des Loix, il ne sortiroit pas
autant de Jeunes hommes du Pays. Il pense
que les services militaires sont utiles à la Suisse.
C’est là que nous allons apprendre l’art de déffendre nos
Pénates.

Mr Verdeil a renouvellé ses objections contre le Systhème
de Mr le Juge; si l’on faisoit payer quelque finance
à ceux qui rentreroient dans le Pays, il arriveroit que
ceux qui n’auroient rien amassé dans l’Etranger ne
reviendroient pas de peur d’être inquiettés pour cette
contribution, tandis que ceux qui auroient fait fortune
ne se trouveroient point assés punis par une légere
Amende. Mr Verdeil a rapellé le moyen qu’il avoit
proposé; il vouloit qu’on donnât au Public un détail
des malheurs de ceux qui se seroient expatriés; des
espèces de Consuls que la République entretiendroit
dans les grandes villes dans le but de soulager les
gens du Pays qui seroient dans le besoin, pourroient
donner les indications nécéssaires pour dresser ces Listes.

Mr De Morrens désire qu’on imprime les Memoires dans
leur entier.

Mr le Président s’est tû de même que le Secretaire.

Etendue
intégrale
Citer comme
Société littéraire de Lausanne, « Sur l'émigration du peuple et des paysans vaudois », in Journal littéraire, Lausanne, 07 avril 1782, p. 112-113, cote BCUL, Fonds Constant II/35/2. Selon la transcription établie par Damiano Bardelli pour Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: http://lumieres.unil.ch/fiches/trans/1358/, version du 21.02.2024.
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