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« Sur l’agriculture, les manufactures et le commerce à Lausanne », in Journal littéraire, Lausanne, 10 mars 1782, p. 100-102
Assemblée du 10 mars
President Mr Bridel
Present Messieurs Bugnion, Verdeil, de Corcelles, de Morrens, Levade,
de Saussure Juge, Kuitner, assistans Mrs Saier et Secretan
Question
Lequel est le plus avantageux pour Lausanne de cultiver le
Commerce et les manufactures ou de se borner à l’agriculture.
Avant que d’entamer ce qui s’est passé dans cette seance je donne=
rai le precis du Memoire de Monsieur Bugnion sur cette
question qui a beaucoup rapport avec celle du jour.
Vaut il mieux encourager parmi le Peuple l’agriculture
que les manufactures
L’impossibilité de l’établissement des manufactures ds notre patrie est si bien demontrée
dit l’auteur du memoire qu’il serait inutile de vouloir y revenir.
La seule manière d’etre utile à la patrie est donc d’encourager
<100v> l’agriculteur qui ns nourrit et d’examiner le sol pour
le rendre plus fertile. Voilà Mrs ajoute avec raison ce
bon patriote, un vaste champ qui s’ouvre devant nous
non pour y cueillir des Lauriers litteraires mais pour y
faire germer des fruits plus durables et plus utiles à l’humanité.
La matiere est difficille il faut du courage pour ecarter
les Epines des objections et peut etre pour surmonter l’ennui
du questions plus utiles sujet. Mais la satisfaction d’etre utile est
plus pour le cœur que les succès le plus brillans de l’esprit dans des
questions purement Theorétiques!
Notre terrein reunit les productions du nord et du midi.
Au nord iles doit ces vastes forets si necessaires & qui
par une sage direction 1 mot recouvrementcommencent à se retablir aux
environs de Lausanne où elles etoient malheureusement degradées.
C’est aussi du nord qu'en viennent les chanvres & les lins
si necessaires et dont il faudrait encourager la culture.
Enfin une autre plante qui croit ds tous les sols sans les
epuiser qui ne craint point l’inconstance des saisons
& qui demande peu d’eforts, La pomme de Terre qui nous vient
d’Amérique merite toute notre 1 mot recouvrementattention.
Au midi ns elevons la vigne les arbres fruitiers les
grains et les fourages. Toutes les choses sources de nos revenus
doivent dit Mr Bugnion fixer l’attentention de tout ami
de la societé qui aspire à en devenir le Bienfaiteur.
De tous les pais de vignoble le pais de Vaud est celui où
cette culture ditest la plus penible et la plus couteuse.
Le vin de petite qualité pourrait par des essais & 1 mot recouvrementdes sages
reglemens devenir meilleur, chose d’autant plus necessaire
que l’augmentation considerable du produit semble en faire diminuer
la consommation. Etudions donc la maniere d'agir dansde cultiver les
vignobles les plus distinguées & comparons les à la notre.
Nous avons beaucoup d’arbres fruitiers. Mais ce n'est pas tout que
de les planter comme le pense le paisan. Il faut les cultiver & mon=
der &c et surtout travailler à detruire cette multitude d’insectes
qui les rongent pendant l’hyver où le paisan à moins affaires
et on l’en trouve plus facilement les feuilles seches qui refferment
leurs œufs dans leurs plis.
La plus chetive recolte est celle des grains et ns dependons de nos
voisins ou plutot du caprice et de la politique des princes et cependant
malgré son l’importance cette branche d’agriculture elle est abandonnée
au fermier sans valets et le maitre du Domaine s’occupe de son jardin
peut etre de ses vignes mais point de ses champs.
Les prairies ont beaucoup gagné depuis que nous en avons
d’artificielles mais il faut les soutenir et les empecher de
se deteriorer par le renouvellement des 1 mot recouvrementgraines.
Voila tous des sujets dignes de l’attention de la societé & voici
les moiens que propose l’autheur du memoire pour etre utile
au public.
1° Faire un choix de ce que les economistes ont ecrit de plus vrai
et de plus lumineux: une Bibliotheque d’agriculture à l’usage
du peuple. Les Pasteurs les repandroient ds leurs paroisses.
Pour les principes generaux les economistes anglais nous
<101> les fourniraient et la Societé Econ: de Berne nous donnerait les
details relatifs à notre pais.
2do Etablir des prix pour celui qui aurait fait la plus considerable
recolte de pomme de Terre de Ble &c. auxquels certainement le
souverain plus porté vers l’agriculture que vers le commerce
ne manquerait pas de concourir.
Surtout il faut faire sortir nos paisans de toute honteuse oisivité
à laquelle ils s’abandonnent pendant l’hiver. Paresse si grande que
malgré les nombre prix établis il manque presque de concurrents
comme l’autheur l’a vu lui meme avec douleur.
J’aurais peut etre mieux fait Mrs de vous relire cet excellent
memoire que de vous en donner un Extrait faible et tronque
et cependant fort long mais je l’ai fait long parce que tout
nous semblait vraiment utile et que je craignais 1 mot recouvrementd’affaiblir
des idées egalement justes et bien presentées en voulant les
resserrer j’en finirai par cet extrait sans consigner ces 2
traits rapportés ds le memoire.
1° Mr Vincent Louis Tscharner Baillif à Lausanne il y a 12 ans
a donne 100 Louis à La bourse des habitans pour en emploier
l’interet annuel à faire des prix pour les meilleurs ouvriers et
instruments d’agriculture fourche van paniers &c.
le 2d est l’epigraphe egalement belle et concise digne de mise sur une piece de Vaisselle donnée à
siècle d'Auguste
un magistrat de Lausanne qui avait composé les memoires
utiles sur les bois; la voici elle est digne du Siecle d’Auguste
Civitas Civi
Passons à ce qui s’est passéfait dans la societé. Personne n’a donné des memoires
sur la question du jour mais dans les avis de vive il s’est toutedit des choses
tres interessantes que je chercherai de representer de mon mieux en glissant
mes excuses à ceux que je repete si je leur ai fait quelque tort involon=
taire.
Mr le Juge de Saussure dit qu’il faut eviter les extremes de laisser le
commerce pr l’agriculture ou l’agriculture pour le commerce tirant
des forces et des accroissemens l’un de l’autre ils ont une influence reciproque
pour cela Etablir une societé de commerce composée de negotians
instruits qui donnent leurs idées il cite l’exemple de la Ville de St Gall
surtout tacher d’occuper les habitans du Jura qui sur un sol sterile
sont autant malheureux par leur ignorance que par leur paresse.
Cette peuplade est en grande souffrance l’hyver et si on leur aprenait
a tricotter en gardant leurs troupeux ou ds leur chaumiere il s’ouvriraient
une force de gain assuré et fairaient rester au Pais beaucoup sur
d’argent qui en sort annuellemt pour des lens de fabrique etrangere.
Mr De Morrens prefere l’agriculture au commerce et pense que pour les
habitans du Jura il serait difficile de leur rien apprendre vu leur indocilite
& leur repugnance hereditaire de pere en fils pour tout ouvrage soutenu.
Mr le Docteur Gillies trouve notre pais peu propre aux manufactures
par la cherté des vivres et le manque de matiere de 1e necessité il conseille
cependant ces ouvrages qu’on fait aux heures perdues surtout la filature
pour les femmes et les filles on ne peut dit il separer l’agriculture du commerce
qui encourage l’un encourage l’autre surtout le commerce interieur qui est une
source de richesse Temoin la Chine et l’Egypte qui n’ont connu que celui là et
qui echangent les diverses productions tel doit etre celui de la Suisse.
<101v> Mais pr cela dit il perfectionnés les differens arts soutenes l’industrie
surtout ne les genes pas sous le gouvernail feodal les arts et l’industrie
s’enfuirent des campagnes ds les villes où se trouvaient des hommes
libres l’ame de la prosperite publique et la liberte et la propriete
assurée de chaque individu c’est donc des villes que l’industrie
peut retourner ds les campagnes. Là elle est Il finit en faisant
voir le grand avantage de l’agriculture sur le commerce c’est
que la nature est de moitié et travaille de concert avec
l’agriculteur c’est un fond inepuisable il n’y a qu’à savoir le
cultiver.
Mr Levade Voudrait qu’on s’occupat serieusement du moien
d’ameliorer le sort des habitans du Jura et insiste sur l’etablis=
sement d’une societe qui les concerne et qui peut faire un
bien permanent à toute une peuplade pauvre et miserable.
Il croit l’agriculture plus favorable aux mœurs que le commerce
parce qu’elle est plus ds la nature et qu’elle peut se passer des
villes, en general des grandes sociétés foiers de corruption.
Mr Kuitner croit le commerce aussi necessaire ds ce pais que
l’agriculture depuis que le luxe y a passe et qu’on s’y habille
de velours et qu’on boit des vins etrangers le commerce devient
donc un mal necessaire mais moins 1 mot biffurefacheux cependant pr nous
que ce gout de service qui gate nos mœurs en nous donnant
les ridicules et les deffaut de nos voisins qui depeuple et par conse=
quent appauvrit la Suisse. Voies dit il l’abondance que les
manufactures ont amenée à St Gall & ds plusieurs villages
des cantons de Bâle & de Zurich.
Mr Verdeil a presenté contre le commerce des objections tres
plausibles le commerce dit est sujet à mille variations il passe
d’un peuple à l’autre et Venise si puissante jadis n’est plus
rien. Il eblouit l’ambitieux par les fortunes qu’il donnepresage
mais combien ne fait il pas de pauvres pour un Riche.
L’agriculture est bien moins brillante mais plus solide elle
n’enrichit pas mais procure cette heureuse mediocrité
cette egalité de fortune source de prosperité ds une republique.
L’esprit mercantil ajoute-t-il serait fatal au pais il detruirait
totalement ce qu’il reste des vertus helvetiques et nous nous rendrait
vils avares de mauvaise fois et surtout égoistes.
En 2d lieu dit l’agriculteur qui a de foiers est soldat si la guerre
attaque sa patrie il peut la defendre il en a une il est enchainé
à son pais par ses possessions: le negotiant en moindre danger
fuit avec ses lettres d’echange ds un païs plus heureux et sa patrie
est partout où il gagne.
En 3e Lieu l’agriculture (et comme medecin il en a jour=
nellement des preuves) est plus saine pr le corps que les manu=
factures. Le laboureur est fort adurci à la fatigue
l’ouvrier de manufacture est gené tout le jour ou assis
respirant souvent un air infecte etestpar 1 mot recouvrementconsequent faible
& maladif la raison de santé doit donc encore faire
pencher la Balance pour l’agriculture l’occupation
de nos peres. Pour le Jura dit il qu’on y etablisse par
une societé d’agriculteurs qu’on leur apprenne à faire des
prairies artificielles et meler leurs terres trop fortes avec
du sable pr les corriger en un mot qu’on en fasse de
bons agriculteurslaboureurs et leurs terreschams ne seront plus aussi ingrats.
<102> Le president pense que sans l’etablissement de loix pour le com=
merçant seul et d’un code mercantil le commerce ne fleurira jamais
comme des negotians le lui ont dit souvent il prefere l’agricul=
ture au commerce soit par ce quelle est plus ds la nature soit
par ce qu’il a vu toujours le laboureur plus honnete & moins
debauché que l’artisan. Pour les terres du Jura il a deja
vu aux environs de Mont d’Or les effets d’une culture opiniatre
des près arides couverts de beaux fourages des collines steriles
jaunes de moissons et surtout la pomme de terre couvrir
de grands espaces d’un terrain demauvais paturage appartenant à la ville dont elle abandonne
sans interet des portionsparties aux familles pauvres pendant 9
ans à condition qu’ils la travaillassent chaque année.
J’y ai admire les effets du melange du sable aux terres fortes
et je ne puis m’empecher à ce sujet de citer les beaux vers heureux
de St Lambert sur cette operation.
Poème des Saisons l'automne
Apprenés o mortels qu’un sol pauvre et sterile
devient en un moment fort riche et fertile
il est, il est un art de choisir les engrais
qu’au vertueux Towsend a revele Ceres
dans les chams d’Albion sur un sable infertile
c’est toi qui le premier fit repandre l’argile
feconder l’un par l’autre et ce melange heureux
Vit naître les moissons sur un solfond sablonneux
Au sol qu’une huile epaisse humecte et rend solide
c’est toi qui le premier mela un sable aride
par ses angles tranchants le Limon divisé
laissa sortir le Bled du champ fertilisé
L’agriculteur Anglais que l’etat encourage
bientôt de ces lecons apprit à faire usage.
Malgré tout ce que l’on dit de mal de l’agriculture nationale
quoiqu’on dise qu’elle soit abandonnée mal dirigée et encore imparfaite & mauvaise
on ne peut nier qu’un des pais où son triomphe est le plus evident ne soit le
notre! 1 mot biffure Et je finirois par cette reflection bien Judicieuse qui termine
l’article Suisse ds le dictionnaire de la Suisse. «Tout pais inculte ne produit
reproduit originairement qu’un nombre borné d’especes d’arbres, d’arbustes et de
plantes habituées aux climats un pais froid comme le notre, dans son 1er état sauvage
ne pouvoit produire que des forets, des arbres aquatiques des bruieres et des paturages
toutes les especes de Bled presque tous les arbres fruitiers et les plantes potageres
sont donc pour nous des dons d’un climat etranger cependant de quelle varieté
de plantes nos campagnes ne sont elles pas ornées aujourd’hui. Dans des tems où
l’ignorance etouffait la curiosité et l’industrie où l’oppression d’un gouvernement
barbare enchainait ou plutot repoussait le commerce il a fallu bien des travaux
pour faire succeder des récoltes aussi variées à la ressource precaire de la chasse
ou au seul produit des troupeaux.»
De là je conclus que l’agriculture a toujours fleuri ds notre patrie que c’est
à elle qu’elle doit son bonheur & que l’abandonner cesser de la proteger ou lui pre=
ferer le commerce seroit le moien infaillible de notreus perdre ou du moins
de nous appauvrir immanquablement.