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« Sur la gaieté », in Journal littéraire, Lausanne, 12 janvier 1782, p. 83-84
Seance du 12e Janvier
La Socïeté assemblée sous la presidence de
Monsieur le Juge, a examiné la question suivante
Ce que c’est que la gayeté et quelles en sont les
bornes.
Monsieur Vernede qui nous a fourni une piece
très agreable sur cette matiere; a defini la
gayeté, une agreable situation de l’esprit
differente de la joye en ce 1 mot biffurecelle ci est un sentiment
plus vif et moins durable. L’une tient au
caractere et l’autre suppose des circonstances
qui la produisent. C’est dans ce sens que la
gayeté est opposée à la tristesse, comme la joye
l’est au chagrin.
La gayeté tient d’ordinaire à la santé à l’inno=
cence et à la liberté, par consequent à l’amitié
qui suppose la confiance. Il ne faut pas
confondre dit Monsieur Vernède la gayeté
avec les orgies de la debauche. Elle aime la
simplicité, et les personnes exemptes de
l’orgueil des soupçons et des inquietudes, c’est
pour cela qu’on la voit souvent à coté du pauvre
et de l’homme laborieux.
La gayeté est un don precieux de la nature
elle orne la raison et embellit l’esprit.
La gaieté raisonnable observe les tems les
lieux et les circonstances, elle ne se manifeste
pas par des railleries piquantes incompatibles
avec une ame tranquille une imagination
riante et un caractere bon.
Il convient ajoute en finissant Mr Vernede
de se parer dans les fetes d’une gayeté au moins
<83v> exterieure pour ne pas troubler les plaisirs d’autruy.
Monsieur Verrey a observé fort judicieusement
que la gaité devoit etre decente et raisonnable
trouvant qu’elle devient fort desagreable dans
la societé lorsqu’elle s’exerce continuellement
sans choix, sur des sujets fades et triviaux ou
meme quelques fois malhonnetes, lorsqu’elle
se manifeste par des eclats de rire immoderés
qui decelent un defaut total d’usage du monde
et de bon sens.
Selon Monsieur Servant la gayeté n’est autre
chose que le contentement exprimé par
les manieres, comme l’enjoument par les idées.
Elle peut resulter de causes phisiques et de
causes morales particulierement de la
moderation, elle tient à une juste proportion
entre les forces et les desirs, d’ou il resulte
qu’un homme accoutumé à les contenir dans
de justes bornes doit etre plus gay qu’un autre.
Monsr Levade croit qu’elle depend beaucoup
de la paix de la conscience et de l’esperance
d’une autre vie capable de dedommager des
peines de celle cy au lieu que la crainte
des maladies et de la mort devoit etre terrible
pour l’athée et le mechant et empoisonner
la gaité de son caractere.
Monsr Gillies croit qu’elle peut resulter d’une
certaine vivacité d’humeur et de l’élasticité
des fibres ayant observé qu’on voyait souvent
beaucoup de gaité chés de grands scelerats
qu’au reste on ne pouvoit pas toujours juger
de la gayeté par l’expression ayant ou des
hommes très gais en compagnie et très sombres
<84> chés eux comme éloqu3 caractères biffureent des hommes assés heureux
sans l’exprimer beaucoup au dehors, Le bonheur
est une portion de contentement plus grande,
plus reflechie & plus durable resemblant également
des circonstances et du caractere. Il distingue
enfin une Sensibilité de gout & une Sensibilité
d’organes, et il croit qu’un des principaux moyens
de conserver sa gaité est de perfectionner l’une
sans trop exciter et affoiblir l’autre.
Il paroit resulter de là que si nous naissons
avec une portion plus ou moins grande de gaité
elle peut etre susceptible de developement
& que l’exercice moderé de ses facultés, un genre
de vie reglé, la force d’ame qui sait se mettre
au dessus des evenemens, et la moderation
peuvent y contribuer.
