,
« Sur la manière de faire régner les mœurs », in Journal littéraire, Lausanne, 31 mai 1781, p. 52-53v
Le 31e May<52> Assemblée presidée par Mr de Montolieu,
Mr Bugnion Sec.
La Question à examiner etoit «Quels sont les
moyens les plus efficaces, mais en même les
plus doux & les plus praticables de faire règner
les Mœurs dans un Etat civilizé, d’y etendre leur
Empire, d’en prevenir ou d’en arrêter la corruption?»
Elle ne produisit qu’une Conversation dont
suit le Resumé; Mr Gillies croit que nous
rappella les Institutions qui affermissoient
l’Empire des Mœurs chés la Nation la plus
fameuse par les siennes; Les Romains
dûrent la Conservation de leurs Mœurs
à la Patria Potestas qui avoit tout
au Respect pour les Vieillards, & à la Censure
Publique, dont les Mœurs etoient le grand
objet; C’etoit aussi celui sur lequel les
Candidats aux Emplois etoient le plus
soigneusement examinés; Si nous voulions
les favorizer les Mœurs, il faudroit dans
nos societé modernes, pour suppléer à
ces Principes reprimans, qui ne sont plus
faits pour Nous, priser d’avantage les
qualités solides & moins les talens frivoles,
donner moins aux agrèmens & un peu plus
aux Vertus, s’informer plus souvent du Cœur
d’un homme que de son Esprit, & se decider
à son egard plus encore par estime que par goût.
<52v> Mr de L'Harpe, Membre que la Societé
a vû reparoitre avec autant de plaisir
qu’elle avoit eu de crainte de l’avoir perdu,
pense sur cette Question, qu’il ne peut point
y avoir de Mœurs dans un Etat despotique,
& regarde à cet egard, 1 mot biffure & à tout autre
le Despotisme des Republiques comme tout
aussi dangereux que celui des Monarchies
les plus absolües.
Mr Verdeil a trouvé la Question beaucoup
trop générale, & voudroit pour s’en occuper
qu’on la reduisît à des termes beaucoup
plus précis; Il a été prié de vouloir s’en
occuper sous le point de vüe le plus
resserré, qu’il jugera de son goût, plutôt que
de laisser perdre à la Societé ses idées sur
ce sujet.
Mr le Juge est porté à croire avec Mr
de La Harpe que l’égalité & la liberté des
Individus d’une societé inflüe beaucoup
sur ses Mœurs, & que c’est à ces deux principes
que sont dües les anciennes Vertus Helvétiques
qui règnent encor dans les petits Cantons.
Ce fût aussi l’opinion de Mr de Morrens
qui y ajouta pour la confirmer quelques
exemples que l’Histoire nous fournit de
Peuples qui ont perdu leur Mœurs, en
perdant leur liberté.
<53> Mr Bugnion adopta aussi ses principes en
avançant de plus, qu'un estgrand moyen pour
rétablir les Mœurs, seroit de rendre à la
Religion Xne ce qu’elle a perdu d’Empire sur
les Cœurs, puisque rien n’est plus propre à
retablir la veritable egalité chés les hommes,
qui (sans abolir cependant ni les rangs, ni les autres
distinctions de la Societé) Et on peut d’autant
mieux proposer cette idée aujourd’hui, que la
Morale Xne paroit avoir pris sa vraïe place
dans la Religion Chrêtienne, où le Dogme qui
en a causé tous les abus, qu’on lui reproche si
souvent injustement, paroit être devenu
partout, l’objet du Respect & du Silence,
pendant qu’au contraire la Morale devient
celui de l’Etude de tous ceux qui pensent.
Mr le président croït que la Censure publique
de quelle espèce qu’elle soit ne peut plus
être utile, & que rien n’inflüe aujourd’hui
sur les Mœurs que l’exemple de ceux qui
gouvernent soit par les Emplois, le rang, la
naissance, les richesses ou les talens; Il soupsonne
de plus que l’homme de la vieille roche dont
on parle chés touttes les Nations civilizées
ne valoit pas mieux que le moderne, & il
se fonde pour la Suisse sur l’authorité de
Mr Tscharner un de ses meilleurs Historiens,
qui assuroit que touttes ses recherches l’avoient
convaincu, que la Suisse n’eut jamais plus
de Mœurs qu’aujourd’hui.
<53v> Mr le President termina l’Assemblée
par la lecture de la traduction d’une
Idylle Allemande anonyme, qui a paru
digne de Gessner, & fait souhaitter que
Mr de Montolieu voulût se donner la peine
de rendre sa Traduction plus rassemblante
encor à l’Original, en la metant en Vers.
La question à traitter Lundy prochain
sera Pourquoi la Langue Françoise
est pauvre en mots et riche en frazes?
L’Assemblée a resolu unanimément que
chacun de ses Membres se fît un devoir
de tâcher de traitter dans la suite & dans un
tems non limité les Questions qui regardent
la Ville de Lausanne contenües dans le Livre
des Questions N. 52, 53, 54, 55 & 56.
Question pour la P. A.La Question à traitter Lundy prochain sera
«Un homme a t’il maintenant plus de
plaisir à Londres ou à Paris qu’il
n’en avoit à Rome ou à Athènes?»