Transcription

Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Le Bignon, 28 août 1747

du buignon ce 28e aoust 1747

je vous remercie comme je dois mon cher amy et du dètail exact que
vous me faites et du sentiment qui vous a inspirè tant de vivacité
et d'exactitude a cet ègard. cet article de ma lettre n'etoit purement
qu'une question, mais les explications que vous m'avès donnèes sont
si fort de mon gout quelle pourroit tirer plus a consèquence que je
ne pensois dabord; mon gout pour votre nation la connoissance
de mon improprièté pour les cours &c, m'avoient dèja beaucoup
fait pancher de ce coté la, mais plus que tout le plaisir de pou=
voir vivre a portèe de mon premier amy, m'en faisoit regarder
l'idèe comme un chateau en espagne agrèable, auquel j'ajoutois
celle de pouvoir peutètre luy ètre utile. mais cette la certitude de cela
me le feroit desirer trop, et comme dans les cours desirer et obtenir
sont deux, pour un homme ignorant des mauvais moyens et qui
veut l'ètre; il ne faut pas que je my attache trop dans l'incertitude
ou je suis encore de la reussite; je puis vous dire cepandant mon
cher amy que desormais me voila pour cette partie fixé a cet objet
et que je l'auray toujours exactement en vue, ce qui est un grand
point car le changement d'objets est presque toujours ce qui nous
empèche de les atteindre. quand a mes moyens et dètails en ce genre
vous jugés bien mon cher amy que je vous dirois plus de choses si mes
lettres ne passoient en paÿs ètranger, mais si par hazard le temps
venoit vous en seriès tost averty par mes lettres et questions. mettès
vous seulement dans la tète que je ne vous y ferois pas de honte,
les moeurs rèpublicaines sont celles que je chèris par préfèrence, la
<1v> simplicité est mon élèment, quand aux correspondances et soins a
cet ègard, la grande habitude de cela lors mème que rien ne my
poussoit, ma rendu la plume très familière, et dune exactitude
semblable a celle d'un banquier, vous me connoissès dailleurs, peu
de talents, mais tant de gout pour ce qui est honnète que je ne
luy préfère rien que ce qui est plus honnète encore; laissons cela
vous serès instruit a mesure dèsqu'il y aura quelque chose qui puisse
ètre mandé, et si je reussissois je fonderois touts mes succès sur votre
prudence, amitié, et probité.

vous voulès me suivre mon cher amy dans mes opèrations. vous
savès que cet hyver j'ay finy et meublé mon hotel, qui est une fort
belle maison avec un grand jardin; mais qui par les dètails et la
friponnerie maintenant si bien ètablie chex le peuple françois, m'a
terriblement couté; je suis icy dans la mème nècessité, mr de st
george
, me fit acheter cecy precisément a cause de son dèlabrement
qui le mettoit fort au dessoux de sa vraye valeur, peutètre aussy
dans lidèe de me charger tellement de besogne a faire que je ne
pusse regimber et que je fusse un jour forcé a me faire aux dètails
et aux soins; si cela est il a bien reussy, car tout icy etoit dans un
dèpèrissement affreux. je ne plains pas l'argent mis en rèparations
et amèliorissements, quoyque dans la dèpravation gènèrale et absence
de bonne foy, il fallut l'impossible pour reussir c'est a dire se connoitre
a tout; mais je plains les dèpenses en batiments et c'est pourtant
ce qu'il ma fallu faire icy pour me loger, il y avoit un vieux
corps de logis, vieux taudis et qui ne pouvoit en façon quelconque
contenir ma famille; de plus la carcasse d'un corps de logis
1 mot écriture qui n'avoit que la caisse et dont le couvert mème ayant été
<2r> si longtemps négligé ne valoit plus rien que pour le coup doeil
je le fis très couteusement rèparer avant mon arrivèe; et depuis
je m'embarquay avec des coquins pour me mettre les dedans en ètat
logeable, ils n'ont fait que des friponneries miraculeusement ingenieu=
ses et multiplièes, il m'a falu les expulser non sans procès et
faire finir cela a journèe ou l'on ne me vole du moins que du temps
cest après cela que je suis maintenant, mais dans un tabut effra=
yant d'autant que j'ay icy ma mère, avec son frère l'abé que tu vis
en provence, mon frère qui fut blessè et pris l'hyver passé, ma femme
prète a accoucher, avec tout le haria que cela entraine, de plus
la fiévre s'est jettèe sur tout mon monde, depuis près d'un mois jay
toujours au moins 7 ou 8 malades, du nombre des quels sont mes
limousins, peuple fauve et impossible a traiter, et les gens de mon
écurie, ce qui est une perte considèrable, dans un temps ou j'ay besoin
de matériaux et en un paÿs ou les charrètes coutent 6 lb par jour
et nourry, on manque d'hommes, en un mot on à beau dire c'est la
vie, je soutiens qu'il est des gens dont la vie est plus compliquèe de
travaux et de contretemps que celle des autres, et qu'il est mème des temps
ou l'on est plus harassé et persècuté que dans d'autres, je serois bien
faché que ce fut la toute la vie. adieu mon cher amy, je vais
a mes malades dont la plupart ne veulent rien prendre qu'a force
de tirannie: mille Respects chex vous je vous prie; vous avès autant
de compliments icy.

Etendue
intégrale
Citer comme
Mirabeau, Victor de Riqueti, marquis de, Lettre à Frédéric de Sacconay, Le Bignon, 28 août 1747, Collection privée. Selon la transcription établie par Lumières.Lausanne (Université de Lausanne), url: https://lumieres.unil.ch/fiches/trans/132/, version du 16.05.2017.
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